Conversation 40414 - Les convertis et ce qu'ils ont mangé avant

SHAULA
Dimanche 27 janvier 2008 - 23:00

On dit que si on ne mange pas cacher ça rentre dans la chair et meme après la techouva on ne pourra pas effacer cela. Comment ça se passe pour les convertis (ils ont bien mangé non cacher avant la conversion)?

Rav Elie Kahn z''l
Mardi 29 janvier 2008 - 08:37

Chalom

J'ai publié une réponse sur un sujet proche sur le site il y a quelques années.
Je l'ai revue et corrigée pour la publication d'un nouvel ouvrage de responsa, si D'ieu veut, d'ici quelques mois.
Je vous en copie ici une partie: il s'agit d'une réponse à deux question différentes. J'ai effacé la première, les allusions à la première question ne doivent pas vous empêcher de comprendre ce que j'ai écrit.
Une réponse plus précise à votre question viendra après ce texte.

"Est-ce que D'ieu a interdit de consommer du porc parce que cette consommation est mauvaise en elle-même, ou bien est-ce que cette consommation est mauvaise parce que D'ieu l'a interdite?

La deuxième question n'est pas obligatoirement liée à la première.
La première question posait la question de la place de la morale naturelle. Celle-ci pose celle de la nature des lois divines qui ne sont pas liées à des questions morales.
Elle définit deux compréhensions bien distinctes du système des mitsvoth. Prenons comme vous l'exemple du porc: on peut considérer qu'il est interdit de le manger parce qu'en manger est nocif. Certains diront que c'est nocif pour la santé (thèse que j'apprécie peu, adoptant en cela l'opinion de Abrabanel), d'autres que cela est nocif spirituellement, que la viande de porc a des influences néfastes spirituellement parlant. Selon cette manière de comprendre la Tora, la différence entre la viande de porc et la viande de bovin par exemple est quasiment naturelle. Cette différence n'est pas créée par la Tora. La Tora vient la mettre en évidence.
Une approche différente de la question serait de dire qu'il n'y a strictement aucune différence entre cochon et vache, et D'ieu aurait très bien pu ordonner le contraire, interdire la vache et autoriser le porc. C'est la Tora qui fixe la différence, en dehors de l'ordre de la Tora aucune différence.
Ces deux thèses définissent des compréhensions très différentes du monde qui nous entoure. Selon la première, parallèlement au monde matériel que nous appréhendons avec nos cinq sens, existe un monde de catégories spirituelles que la Tora vient nous révéler. Il ne s'agit pas seulement de nous éduquer, de faire de nous des hommes meilleurs, mais aussi de nous protéger de toutes sortes de dangers invisibles au commun des mortels.
Nous pouvons illustrer les deux thèses en présence avec un autre exemple: les lois de pureté et d'impureté tiennent une place importante dans la Tora et dans la Michna, même si elles n'ont plus aujourd'hui quasiment aucune influence sur notre vie quotidienne. Y'a-t-il une différence ontologique entre une chose pure et une chose impure, ou ne s'agit-il que de différences au niveau de la Halakha? En d'autre termes, la Tora nous éloigne-t-elle des choses impures parce qu'elles peuvent avoir sur nous des effets nocifs (sans entrer dans le détails de savoir lesquels, et là aussi, plusieurs thèses pourraient s'affronter), ou bien c'est parce que D'ieu en a voulu ainsi et nous l'a ordonné par le biais de la Tora que le pur et l'impur appartiennent à des catégories différentes?
Dans les exemples que nous avons donnés jusque là, la réponse que l'on donnera à cette interrogation n'aura aucune incidence pratique.
Les deux approches existent chez les rabbins, et vous pouvez choisir celle qui vous semble la plus exacte.
Pour illustrer ces divergences d'opinion, prenons un cas concret, avec une incidence pratique.
Le Talmud (Yoma, 39 a), commentant un verset sur certaines interdictions alimentaires (Vayikra 11, 33) cite l'enseignement de Rabbi Yishmaël que le cœur de celui qui les transgresse s'endurcit, se ferme. Rachi explique que cela limite les capacités intellectuelles. Voilà apparemment un enseignement, on ne peut plus clair, qui considère que les aliments interdits le sont à cause de leur effet nocif sur la santé morale de celui qui les consomme. Et puisqu'il s'agit d'un phénomène naturel, il faudra donc que les bébés et petits enfants n'ayant pas encore atteint l'âge de l'éducation au respect des lois alimentaires ne soient pas nourris avec de tels aliments, puisqu'ils sont nocifs, indépendamment de la question de savoir s'ils sont formellement tenus de respecter les lois de la Tora.
C'est ainsi que certains rabbins préconisent qu'une nourrice ayant mangé des mets interdits (par exemple parce qu'elle avait des problèmes de santé, et donc même si elle l'a fait alors qu'elle en avait le droit), cesse d'allaiter le bébé dont elle a la charge, pour éviter les influences malfaisantes des aliments non cachers qu'elle a mangés. On choisira une autre nourrice. Et même si la nourrice n'est pas juive, il faudra lui demander de manger cacher, pour ne pas nuire au bébé (Rema Y.D. 81, 7; Chakh 25).
Le Rav Haïm David Halévi (Maïm Haïm 1, 50) rejette cette manière de voir.
On ne peut en aucun cas soutenir la thèse que les capacités intellectuelles de personne ne mangeant pas cacher sont moindres que celles de ceux qui respectent les lois de la Cacheroute, écrit-il. Il faut comprendre différemment le texte talmudique qui traite de la question de l'influence de la nourriture non cachère sur la personnalité humaine. Transgresser les lois de la Tora, ou dans notre cas, manger des aliments interdits, a une mauvaise influence sur notre personnalité, non pas à cause des qualités intrinsèques naturelles de ces aliments, mais parce que transgresser la parole de D'ieu, aller à l'encontre de ce que nous savons être la bonne conduite à suivre à une mauvaise influence réflexive sur nous. Nous nous enfonçons dans le péché. C'est ainsi que Rabbi Yaacov Pinto (Ein Yaacov) explique ce passage talmudique.
Le Rav Haïm David Halévi étaye sa thèse avec une preuve qu'il considère comme étant irréfutable:
Le Rambam écrit que les rabbins ne sont pas tenus d'empêcher un jeune enfant qui transgresse le Chabat ou qui mange des aliments non cachers de le faire (Hilkhot Maakhalot Assourot, 17, 27-28), mais qu'il est interdit de lui en donner à manger. Puis il ajoute que son père doit se charger de l'en empêcher et de le gronder pour l'éduquer. Ce texte est repris dans le Choulh'ane Aroukh (O.H. 343). Si ces aliments avaient vraiment un effet néfaste sur l'âme de l'enfant, demande le Rav Haïm David Halévi, peut-on imaginer qu'on n'empêchera pas un enfant de se faire du mal, de manger des aliments qui lui font du tord? De plus, on voit bien que l'obligation du père de gronder son enfant est justifiée par le Rambam par une raison éducative, et non de crainte de futures conséquences néfastes.
L'argumentation du Rav Haïm David Halévi n'est pas sans défaut et je crois qu'affirmer qu'aucun rabbin n'affirme que les aliments interdits aient une influence nocive, est un peu exagéré. Cela oblige à trop de gymnastique dans l'explication de certains textes.
Mais il est tout à fait clair que les avis sont partagés sur cette question, et vous êtes libre de choisir la voie qui vous convainc le plus."

Venons en à votre question.
La réponse dépendra bien entendu de la thèse que nous allons adopter.
Selon Rabbi Haïm David Halévi, pas de problème. Il rejette ce "on dit que".
Selon l'autre thèse, tout n'est pas perdu, dans la mesure où l'on peut considérer que ces aliments ne sont nocifs que pour les Juifs, qui selon cette théorie diffèrent dans leur nature des non Juifs. Selon cette manière de voir, la conversion est une transformation de la nature humaine.
Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter pour cela.