Conversation 62982 - La halakha, mauvaise concretisation des ideaux?

babaz
Jeudi 26 avril 2012 - 23:00

Bonjour,

Voici une question plutôt générale que je me pose de manière plutôt insistante.

Le judaïsme est souvent décrit comme une spiritualité tentant de concilier ou réconcilier "ciel et terre", quoiqu'il y soit apparemment plus question de "spiritualiser la terre" que d'y "matérialiser le ciel".
D'où la halakha (excusez le raccourci).

Mais voilà... l'étude attentive, minutieuse de la halakha m'a toujours donné l'impression "d'infantiliser" le Dieu auquel l'on croit rattacher cette loi, en l'important sur terre davantage que l'on s'exporterait ainsi vers lui.
En ce sens, le "pari juif" me semble quelque part très risqué, et je serai donc heureux de lire vos conseils pour mieux faire la part des choses, a fortiori si, devant un cours précis de halakha, vous avez déjà ressenti une sorte de dégoût me semblant justifié par la raison que j'ai tenté de formuler.

Merci

PS - je me suis contraint à reprendre la dichotomie classique "ciel et terre" (pourquoi pas "esprit et matière"), sans toutefois y adhérer. c'est que la chose est largement admise, serait-ce pas facilité, dans le monde religieux juif, et que c'est au regard de cette opposition supposée primordiale que semble se situer le "défi" en question.

Rav Elyakim Simsovic
Samedi 28 avril 2012 - 19:30

J'avoue que je suis perplexe.
En admettant qu'il s'agisse effectivement de "concilier ou réconcilier ciel et terre", ce qui n'est pas absolument exact en tout cas dans les termes - ou constitue du moins une simplification exagérée, et en admettant le saut "d'où la halakha" qui est plutôt une sorte de court-circuit, en laissant donc de côté ce qui mène à la question et n'en fait pas nécessairement partie, je suis perplexe.

En effet, je ne vois pas du tout en quoi la halakha infantiliserait qui que ce soit, ni Celui qui donne la loi, ni celui qui la reçoit. Il me semble plutôt, pour reprendre l'expression de M. Lévinas, que, décidément, le judaïsme est une religion d'adultes.

Peut-être serait-il utile que vous nous donniez un exemple d'infantilisation.
J'ai étudié la halakha avec le rav Rottenberg זצ"ל et je n'en est jamais rien éprouvé qui se rapproche en quoi que ce soit de ce que vous décrivez dans votre post-scriptum. Au contraire.
Mais il m'est arrivé d'entendre ou de lire "ces petits renards qui dévastent les vignes" et ce que je pouurrais éprouver alors se partagerait peut-être entre colère et compassion et tristesse, mais pour eux - pas pour la halakha !

babaz
Samedi 28 avril 2012 - 23:00

Merci pour votre réponse.

Si vous y êtes disposé, je serai heureux de préciser avec votre aide et votre soutien ce préambule exagérément simplificateur. Il me semble que derrière de longs développements apparemment techniques, des notions telles que celles de « klipat noga », « libération des étincelles de divinité »… etc. nous renvoient à ce projet de « spiritualisation de la matière ». La réalisation d’un tel projet ayant pour intermédiaire, dans le judaïsme, la réalisation des mitsvot.

Lorsque vous étudiez de manière approfondie un sujet de halakha quelconque, c’est-à-dire, je présume, lorsque vous cherchez à définir précisément ce que « Dieu attend des humains nés juifs », comment faites-vous pour ne pas tomber dans le travers qui consisterait à vous faire penser que « Dieu » serait effectivement sensible au nombre de centilitres de vin que vous consommez après avoir fait la bénédiction du kidoush, sensible au fait que tel plat ait été directement ou non posé sur une plat chauffant le jour du Chabbath… etc. etc. ? Comment ne pas en venir à infantiliser la « volonté de Dieu » ?

Le sens de ma remarque initiale est-il mieux explicité ?

Merci

Rav Elyakim Simsovic
Dimanche 29 avril 2012 - 08:55

Non, pas du tout.
Je laisse de côté pour l'instant votre interprétation des notions qabbalistes que vous avez citées, qui ne sont pas vraiment pertinentes pour notre sujet.

Vous omettez, dans votre description, l'effet d'une conduite (une praxis) sur celui qui en est le sujet.
Voyez par exemple Midrach Béréchit Rabba, 44, 1 qui pose une question similaire : "qu'est-ce que ça peut bien Lui faire que nous fassions la chehita comme-ci ou comme-ça ?"
À Lui, peut-être rien, mais à nous ?
C'est là qu'intervient l'importance de l'action concrète qui agit sur la réalité du monde et de l'homme - non pour spiritualiser la matière, mais pour en épurer la grossièreté. L'homme a été créé par Dieu dans une dimension d'être qui participe de l'animalité. Ce corps physique a une très haute valeur intrinsèque. Mais il court le risque de la bestialité. C'est là qu'interviennent les mitvoth en tant que conduite destinée à gérer "l'être au monde" de l'homme, préserver ce qui déjà est bon et rendre bon ce qui ne l'est pas encore.
Et cela demande une étude approfondie - d'autant plus approfondie que nous nous sommes éloignés de la source du sens - pour savoir quoi faire, comment faire et pourquoi le faire, ce dernier domaine étant celui des taamé hamitvoth.

Parler simplement de spiritualisation de la matière fausse complètement le problème. À titre d'exemple de cette corruption du sens : la matière peut être pure, alors que l'esprit peut être impur (rouah hatouea). L'idolâtrie, par exemple, est une spiritualité dévoyée.