Conversation 3091 - L'artiste en quete de son oeuvre...

Anonyme
Lundi 16 décembre 2002 - 23:00

Chers Rabbanim,

Je peux lire, dans une édition de Pirkei Avot en français, les mots suivants :

" L'âme possède un fond intime qui, excité par les accidents et les impressions de l'extérieur, est capable de créer d'elle-même des belles et magnifiques choses. [...] Avant que l'âme ne soit réunie au corps, donc avant la naissance de l'homme, un ange de D.ieu conduit l'âme non encore née à travers tous les espaces de l'univers, lui montre tout, lui enseigne tout ce qui est digne d'être appris. [...] Chaque homme porte en lui, sans le savoir, des trésors infinis de savoir et des possibilités qui n'ont besoin que d'une excitation pour s'éveiller à une vie intense. [...] Le véritable artiste qui sait se souvenir de l'idéal qu'il a vu jadis, arrive à dépeindre ce qu'aucun oeil humain n'a jamais vu sur terre, ni aucune oreille n'a jamais entendu ! "

Or, je suis moi-même artiste : je compose de la musique et écris, aussi, auriez-vous des conseils concernant le travail à faire sur soi pour une personne désirant de tout coeur apprendre à "se souvenir de l'idéal qu'il a vu jadis" ?

Je sais que ma question et vague ; si je vous la soumets tout de même, c'est au nom d'une démarche personnelle : tenter de servir Hachem également grâce à ce keli "artistique" qu'Il a déposé en moi. Aussi, je saisis la moindre occasion de progresser en ce sens.

Qu'Hachem vous donne une longue vie pleine de sma'hot

Rav Elyakim Simsovic
Mardi 25 février 2003 - 23:00

Le passage auquel vous faites allusion exprime, je crois, avec le lyrisme propre aux intuitions hassidiques et du Habad en particulier, l'enseignement suivant (Baba Qama 30a) : "Celui qui veut devenir 'hassid, c'est à dire dépasser le stade de la seule obéïssance pour atteindre à celui de l'adhésion par toutes les fibres de l'être, qu'il s'investisse (léqayem) les paroles [du traité] des pères, les Pirqé Avoth" ; enseignement auquel se raccroche celui de rabbi Pinhas ben Yaïr (Avoda Zara 20b) selon lequel la Thora est le point d'origine d'un cheminement progressif qui conduit, étape par étape, jusqu'à la 'hassidouth qui elle-même rend possible d'accéder au Roua'h Haqodèche, l'esprit de sainteté qui est à l'échelle individuelle ce que la prophétie est à l'échelle de l'identité collective du peuple.

Il faudrait donc plus que de l'orgueil pour prétendre donner des conseils sur la manière d'atteindre là où soi-même on est loin, hélas, d'être parvenu.

Mais cet enseignement contient sans doute lui-même une indication : les Pirqé Avoth. Les Pirqé Avoth, c'est l'enseignement de la Thora orale concernant l'authenticité morale qui conditionne la légitimité de la prescription légale.
Par intégration et transposition des propositions précédentes on obtient la conclusion suivante : c'est la rectitude morale et la droiture intellectuelle qui sont à la fois le gage et la condition de la transparence spirituelle.

Rav Askénazi (Manitou) zatsal, qui fut non seulement un maître prestigieux mais aussi un poète d'une puissance et d'une délicatesse rare et à mon sens quasi inégalée, disait, s'appuyant en cela, me semble-t-il, sur l'introduction du rav Kook aux notes qu'il nous a laissées sur le Cantique des cantique (Olath Réïya II, p. 3) : "Il y a des arts d'expression et des arts d'excrétion. Tout ce qui sort de l'homme n'est pas nécessairement noble." Si rien de ce qui est humain ne m'est étranger, il y a en l'homme même des vestiges qui ne le sont, ou ne le sont plus ou pas encore. A ceux-là, convient le silence.

A partir de cette remarque, je me permettrai de partager avec vous cette méditation :
C'est lorsqu'on va chercher, au plus profond de soi, comme en cette remontée effectuée dans la plongée dans l'eau du miqvé où l'on atteint au point d'origine de toute vie et où la nôtre serait en péril si on ne ressortait pas à l'air du monde (ce qui permet d'effleurer en quoi que ce soit une compréhension de la nécessité de naître) qu'on retouve l'espace d'un instant sans durée celui de la naissance et qu'on perçoit par éclairs un peu de l'éclat de cette lumière.

Rendre accessible ce jaillissement de la pureté pour un temps retrouvée et qui se confronte à nouveau aux défis de notre monde, en la diversité de ses manifestations toutes harmoniques de la volonté unique qui les fait exister - et la résistance qui s'y oppose -, c'est cela, je crois, qui vaut d'être tenté.