Conversation 41058 - Pourquoi interdire de couvrir les plats Chabat

dic
Mercredi 12 mars 2008 - 23:00

Bonjour,
Je n'ai pas trouvé la réponse à ma question par le moteur de recherche.
Je ne comprends pas pourquoi atmana (par ex couverture couvrant entièrement yc côtés) est interdit à Shabbat. On explique qu'il y a risque d'augmenter la chaleur mais si les plats sont tous deja cuits et qu'il n'y a pas de cuisson après la cuisson où est le problème, quel est l'interdit?
Merci!

Rav Elie Kahn z''l
Lundi 17 mars 2008 - 00:46

Chalom

L'interdiction de couvrir un plat avec une couverture Chabat est une interdiction rabbinique.
On crait, au cas où le plat ne serait pas suffisamment chaud, qu'on en vienne à le réchauffer.
Je vous accorde qu'il s'agit d'un risque assez éloigné, et si vous trouvez que les sages qui l'ont interdit sont allés un peu loin, j'aurais du mal à vous contredire.
Mais en l'interdisant, ils ont fait usage de l'autorité que leur accorde la Tora en ce domaine.
La question des interdits rabbiniques, et le sentiment que certains d'entre nous ont parfois "qu'ils exagèrent", méritent une étude approfondie.
J'y ai consacré quelques pages dans mon prochain livre de responsa. en voici un passage, qui traite de l'interdiction de consommer du vin non d'un non Juif:

12. Et que ça saute... les interdictions (2)

Plusieurs questions me viennent à l'esprit. Tout d'abord, je veux bien faire confiance aux rabbins "de l'époque" et penser que le vin peut amener un juif à être proche de non Juifs.
Cependant, plusieurs points me semblent obscurs:
- Sachant que l'on interdit le vin mais pas le whisky/bière/boukha/vodka, je me demande si la raison de l'interdit a réellement un sens. Pourquoi est-ce que le vin serait interdit et non la bière, par exemple, qui est moins chère, autant "rapprochante" que le vin tant dans ses effets que dans ses objectifs?
- Pourquoi une demi-mesure? Soit on est cohérent et on interdit tout, soit on n'interdit rien.
- Le rabbin de ma communauté a fait un discours ce Chabat où il disait que "les rabbins font tellement intelligemment les choses qu'ils ne proclameraient jamais une interdiction qui ne puisse être tenue, et plus, si tel était le cas ils reviendraient en arrière pour annuler l'interdiction: comme pour l'interdiction de l'huile qui a été annulée puisque les gens ne la suivaient pas, et celle du pain".
Je ne cacherai pas que ça m'a doublement choqué! Tout d'abord pour en revenir au vin. Pourquoi l'avoir gardé et non le pain?
- Enfin, s'il suffit de ne pas respecter une interdiction (miderabanane bien sûr) pour qu'elle "saute": Allons-y !!! Ça me semble trop facile et c'est faire en quelque sorte preuve de faiblesse. Je pensais qu'une des bases du judaïsme était de ne jamais revenir sur un interdit?

Toutes vos questions proviennent du même étonnement, celui de l'interdiction du vin, et non de la bière.
Notons tout d'abord que l'idée d'interdire toute consommation d'alcool a été émise, mais n'a pas été retenue. Quelle logique à cela?
Le but de cet interdit est de servir en quelque sorte de pense-bête. Rappeler que s'il n'est pas interdit d'avoir des contacts sociaux avec des non juifs, il faut être attentif à ce que ces relations ne glissent pas du social au romantique. Pour atteindre ce but, il n'était pas nécessaire d'interdire de boire toute boisson alcoolisée, on pouvait se contenter de n'interdire que le vin. Le simple fait de vérifier ce que l'on boit, de choisir telle boisson plutôt qu'une autre permet d'atteindre ce but. Toutes les mesures prises par les rabbins sont mesurées, afin d'atteindre le but précis qu'ils se sont fixés. Ni plus ni moins. C'est pourquoi on n'interdit pas TOUT comme vous le proposez, mais uniquement ce qui est nécessaire. Et cette manière de procéder me semble de loin préférable. Il ne s'agit en rien d'une demi-mesure, mais de la mesure exacte.
On m'a à ce sujet, posé une autre question:
La raison invoquée pour interdire le vin non cacher n'est-elle pas un peu fragile? En effet, j'ai du mal à voir rationnellement comment du vin pourrait attirer un juif bien éduqué, ferme dans ses convictions ou même marié religieusement vers un mariage mixte? N'allons-nous pas un peu trop loin parfois?
Comme vous pouvez le constater, c'est la même question que la vôtre… à l'envers.
Il y aura toujours quelqu'un pour penser qu'on en fait trop, et quelqu'un pour penser qu'on n'en fait pas assez.
Voici ce que j'ai répondu à cette question:
Ce qui est important dans les mesures prises par les rabbins, c'est d'en accepter le principe. Pensez-vous qu'il soit nécessaire de prendre des mesures qui mettent les Juifs en garde face aux dangers des mariages mixtes? Si oui, tout va bien.
La question de savoir quelles sont les mesures précises, si telle mesure est exagérée et si telle autre est insuffisante, est une question sur laquelle il est difficile de tomber d'accord, tant elle est sujette à de nombreuses fluctuations. Cela dépend de l'époque, de la culture ambiante, et de beaucoup d'autres paramètres.
C'est un peu comme engager une discussion sur les limitations de vitesse qui paraissent à l'un exagérées et à l'autre criminellement permissives (fin de citation).
Pour bien comprendre à quel point nos sages cherchaient la mesure exacte pour atteindre le but qu'ils s'étaient fixés pour protéger la Tora, sans nous rendre la vie trop compliquée, je voudrais vous citer un texte (T.B. Chabat 40 a) qui décrit ce processus de manière, à mes yeux, passionnante. Il s'agit de l'interdiction de se laver à l'eau chaude le Chabat.
"Au début, on avait le droit de se baigner Chabat (dans les bains publics) dans de l'eau qui avait été chauffée la veille de Chabat. Les gérants des bains commencèrent à chauffer l'eau le Chabat même, en assurant qu'elle avait été chauffée la veille. Les Rabbins interdirent les bains, mais autorisèrent la transpiration (une sorte de sauna E.K.). Mais les gens continuaient de se baigner à l'eau chaude et affirmaient qu'ils n'avaient fait que transpirer. On interdit donc la transpiration, et on continua d'autoriser les thermes de Tibériade (sources d'eau chaude naturelle, E.K.). Mais les gens continuaient de se baigner à l'eau chaude, en affirmant qu'ils s'étaient baignés dans les thermes de Tibériade (ou assimilés, E.K.). On interdit donc aussi les thermes de Tibériade, et on autorisa les bains froids. Les sages virent que c'était une mesure insupportable, ils autorisèrent à nouveau les thermes de Tibériade, mais l'interdiction de la transpiration a été maintenue".
Ce texte est à mes yeux extraordinaire, il nous permet de suivre "en direct" l'évolution d'une mesure rabbinique, et nous permet de comprendre le processus "de l'intérieur". Il nous dévoile ce qui se passe en coulisses avant qu'une "mesure" définitive soit prise "à la bonne mesure". Ces mesures viennent répondre à des risques bien réels, et on s'efforce de prendre la mesure minimale pour y remédier. Ce n'est que parce que cette mesure ne répond pas aux besoins qu'on augmentera la dose, en essayant de s'en tenir au minimum nécessaire.
Pour en revenir à l'interdiction du vin et l'autorisation de l'alcool, en interdire un et en autoriser un autre étant suffisant pour obtenir l'effet escompté, on s'en tiendra à l'interdiction du vin.
Et ce choix n'est pas étranger au fait que le vin servait couramment dans le cadre de cultes idolâtres.
Votre rabbin vous a parfaitement décrit les choses. Certaines interdictions ont effectivement "sauté" parce qu'elles n'étaient pas respectées, et la Halakha fait ici preuve d'une certaine idée de la démocratie, qui est souvent ignorée. Le Rambam décrit longuement dans son Michné Tora (Mamrim 2) le processus selon lequel certaines halakhot peuvent être changées.
Un des principaux critères est la question de savoir si les décisions prises par le Sanhédrin ont été acceptées par le peuple? Après qu'un décret ait été pris par le Sanhédrin, si le peuple ne suivait pas, le décret n'avait pas force de loi. On estimait que ce décret était une erreur.
Et même quand un décret avait été suivi par le peuple, puis plus tard abandonné par celui-ci, on en tenait compte, et la démarche à suivre pour l'annuler officiellement était allégée. Il suffisait d'un tribunal de moindre autorité pour annuler une décision prise par un tribunal plus érudit.
Ce que vous pensiez donc sur les bases du judaïsme est à revoir, pour ne pas dire erroné. On revient parfois sur des interdits. Et rien de plus dynamique que la Halakha.
De là à dire "allons-y" et faisons "sauter" les interdictions qui nous semblent superflues… il y a un pas que je ne vous conseillerais pas de franchir.
Surtout qu'en absence de Sanhédrin nous n'avons effectivement aujourd'hui aucune autorité d'annuler quoi que ce soit.
Pourquoi le pain a-t-il donc été autorisé et pas le vin? Parce que l'on peut se passer de vin, mais pas de pain (ni de boursin).

dic
Dimanche 16 mars 2008 - 23:00

Suite 41058:
Shalom,
Merci beaucoup Rav pour votre réponse. Mais dans ce cas, pourquoi certains permettent le couvercle sur la casserole? Cela rajoute aussi de la chaleur et on pourait avoir peur également qu'on en vienne à remuer le charbon? Le Rama (O.C. 253:1) dit que pour qu'il y ait atmana il faut que ca couvre totalement la casserole, donc ca ne semble pas lié directement au rajout de la chaleur (puisqu'on peut en rajouter avec un couvercle qui ne couvre que le haut)??
Merci encore!

Rav Elie Kahn z''l
Lundi 17 mars 2008 - 13:13

Chalom

Les rabbins n'ont pas voulu obliger à laisser les plats découverts.
Les couvercles sont donc autorisés.
Pas les couvertures sur les couvercles.
Parce qu'il ne faut pas exagérer.