Conversation 42015 - Avoth 2, 4

Bondy007
Dimanche 11 mai 2008 - 23:00

Shalom,

Comment traduisez-vous, comment interprétez-vous cette phrase des Pirké Avot II ?
"Al tomar davar chei-efchar lichmoa chesofo lehichama"

Certains Siddourim traduisent :
Ne dis pas quelque chose qu'il est impossible d'entendre en pensant qu'elle sera comprise.

Eric Smilévitch traduit ainsi :
Ne dis pas une chose impossible à entendre et qui à la fin sera entendue.
(ça colle mieux au texte)

Moi j'aurais tendance à traduire ainsi :
Ne dis pas une chose qu'il est impossible d'entendre pour que sa fin soit d'être entendue.

c.a.d. ne la dis pas maintenant, car les conditions de sa réception ne sont pas remplies ; mais lorsque tu auras un public adéquat ou suffisamment ouvert, instruit pour recevoir cette idée, alors tu la diras, et alors elle sera comprise. Que si tu la dis maintenant, tu grilleras cette idée pour toujours en l'ayant dite trop tôt.

En fait tout dépend comment on traduit 'che'.

Ma traduction et mon interprétation sont-elles valables ?

Jacques Kohn z''l
Mardi 13 mai 2008 - 05:44

Dans son ouvrage PIRKEI ABOTH - Maximes de nos pères (Traduction française de Marguerite KLEIN), le rabbin Marcus LEHMANN propose les deux traductions et le commentaire suivants :

Traduction N° 1 : Ne dis pas une chose incompréhensible en pensant que grâce à une étude approfondie elle peut tout de même devenir compréhensible.

Traduction N° 2 : Ne dis pas d’une chose que tu peux entndre maintenant, qu’elle pourra être encore entendue plus tard.

Commentaire : Rachi explique les deux versions de la façon suivante :

« Ne dis pas d’une chose que tu peux entendre à présent que tu pourras encore l’entendre plus tard. » Quand tu as l’occasion d’apprendre quelque chose, profite tout de suite de cette occasion et ne dis pas qu’elle pourra se présenter à nouveau une autre fois. Plus tôt tu apprendras quelque chose, plus tôt tu pourras en tirer profit.

« Ne dis jamais quelque chose qui doit rester secret. Car dès qu’une seule personne en est informée, le secret ne t’appartient plus et i1 y a danger qu’il se répande partout ». Le sens est donc : Ne profère jamais un secret (même si tu es seul) car on peut l’entendre, et n’y aurait-il qu’une seule personne pour t’écouter, ce secret n’en serait pas moins bientôt public.

Maïmonide adopte la deuxième version et l’explique ainsi : « N’énonce jamais une sentence incompréhensible en te disant qu’elle finira, après examen approfondi, par devenir claire. » Hillel avertit les Sages qu’il leur faut énoncer clairement leurs leçons, les expliciter, les adapter à l’entendement de tous, à peu près comme l’avait déjà dit Abtalion :

Vous, Sages, soyez soigneux dans vos paroles.

On objecte contre cette interprétation de Maimonide, que Hillel, dans cette sentence, a péché contre sa propre leçon. S’il avait vraiment voulu dire que les Sages devaient s’exprimer de telle sorte qu’on puisse les comprendre sans ambiguïté, lui-même aurait pris soin d’être plus clair.

Ne pourrait-on pas en dernière analyse opter pour l’interprétation suivante : « Ne dis pas d’une chose qu’elle est incompréhensible; en fin de compte, elle sera tout de même comprise ». Le verbe chamo’a ne signifie pas seulement « entendre », mais aussi « comprendre ». Lorsqu’au cours de ton étude, tu achoppes sur des sujets trop profonds et qui te paraissent impénétrables, ne te lasse pas de les analyser et de t’y plonger à fond. Tu finiras par être récompensé de ta peine et ce qui te paraissait impénétrable te deviendra clair, car, disent les Sages : « Si quelqu’un te dit : je ne me suis pas donné de peine et j’ai pourtant trouvé, ne le crois pas ; mais si quelqu’un te dit : je me suis donné de la peine et j’ai trouvé, crois-le. » Il existe beaucoup de choses, dans l’enseignement de Dieu, qui nous semblent incompréhensibles, lorsque nous les examinons superficiellement; mais une volonté appliquée et un travail opiniâtre permettent de les approfondir et l’esprit humain peut ainsi atteindre jusqu’aux choses les plus difficiles.

Le mot chamo’a veut aussi dire « obéir ». Ce qui nous permet de donner à la sentence de Hillel un autre sens encore, en relation avec un épisode de la vie de ce grand homme. Dans le Traité Chabbath (14-2), on nous raconte que Chamaï et Hillel voulurent instituer une règle selon laquelle, avant de toucher à l’offrande des prêtres (Teroumah), on devait se laver les mains, même si elles étaient parfaitement propres. Une règle semblable avait déjà été instituée par le roi Salomon en ce qui concernait les sacrifices (Kodachime). Ces deux grands maîtres ne parvinrent pas à faire accepter cette extension de la taqana de Salomon, car le peuple s’y opposait. Ils la préconisèrent néanmoins sous forme d’habitude, bien qu’elle n’eût pas acquis force de loi. Et plus tard, quand les écoles de Chamaï et de Hillel devinrent puissantes, ces deux grands hommes et l’ensemble de leurs disciples réussirent à lui conférer force de loi. (Voir Tossafoth à ce propos).

A la lumière de cette anecdote, la sentence de Hillel nous paraît s’expliquer ainsi : lorsque tu t’es convaincu qu’une chose est bonne, juste et nécessaire et que tu peux en faire une règle universellement respectée, et lorsque tu vois qu’on s’oppose à toi et qu’on ne veut pas t’entendre, ne te lasse pas, c’est toi qui finiras par avoir gain de cause. « Ne dis pas d’une chose quelconque qu’il est impossible qu’elle soit acceptée : à la fin, elle sera tout de même acceptée ».

Si l’on s’en tient à cette interprétation, cette partie de notre Michnah s’enchaîne simplement et parfaitement à celle qui la précède. Nous avons expliqué plus haut que la sentence : Ne juge pas ton prochain avant de t’être mis à sa place, dans toute la mesure du possible, ne contredit pas, mais complète le commandement divin qui ordonne de réprimander son prochain. La leçon de Hillel doit servir de règle, en ce qui concerne la réprimande adressée au prochain. Dans la plupart des cas, elle semble tout à fait inefficace, et pourtant, il est de notre devoir de réprimander notre prochain.

Les Sages racontent, dans le Traité Chabbath (55a), que lorsque Dieu ordonna un jour à l’ange de la mort de tuer les méchants et d’épargner les hommes pieux, l’accusateur se présenta devant le trône de Dieu et Lui dit : Maître du monde, pourquoi veux-tu épargner ceux-ci et châtier ceux-là? Et Dieu dit : Ceux-ci sont parfaitement pieux et ceux-là sont tout à fait mauvais. L’accusateur reprit alors : Les pieux auraient dû avertir, réprimander, retenir les méchants. Et Dieu dit : Je sais et il m’est clair que ces exhortations auraient été sans effet. A quoi l’accusateur répliqua : Même si cela t’était clair et avéré, eux, du moins, ne pouvaient le savoir et ils auraient dû faire leur devoir. Et Dieu entendit la voix de l’accusateur et les pieux, aussi, furent punis, parce qu’ils avaient négligé de réprimander leurs frères pécheurs.

Voilà pourquoi Hillel nous avertit : Ne dis pas qu’il est impossible que ta parole soit entendue, qu’il est impossible que ta réprimande puisse produire un effet, car elle finira toujours par être entendue. Même si le pécheur ne veut pas entendre ton exhortation, s’il ricane en t’écoutant, même s’il se met en colère contre toi. Il y aura des moments où il se souviendra de tes paroles, pendant les nuits solitaires, à l’heure du danger, pendant les jours de maladie ou de misère, et peut-être alors tentera-t-il un effort, même si des années se sont écoulées depuis qu’il a entendu tes paroles qu’il avait rejetées alors avec des railleries, avec mépris ou colère. Une bonne parole ressemble souvent à une semence tombée sur des broussailles et des pierres et ne pouvant germer. Mais il est toujours possible que la broussaille et les pierres soient ôtées et, quoique tard, la semence trouvant alors un sol propice, s’enfonce dans le sol, germe, et devient un bel arbre porteur de fruits merveilleux.