Conversation 4269 - Entre Pessah' et Chavouot

Anonyme
Mardi 4 février 2003 - 23:00

D'où vient l'habitude de lire les Pirkey Avoth entre Pessah et Shavouoth?
Ainsi que celle de citer Rabbi Hanina ben Aqashia omer "ratsah ... lezacot et israel " avant le Kaddish qui suit une étude ?

Rav Elie Kahn z''l
Vendredi 7 février 2003 - 23:00

La coutume de reciter les Pirkey Avoth le Chabat a l'heure de Minha est mentionnee pour la premiere fois par les Gaonim en Babylonie (1). Le texte ou cette coutume apparait est etonnant. C'est un responsum dans lequel on interroge un rabbin sur la question de savoir s'il est autorise d'etudier le Talmud a l'heure de Minha le Chabat. La reponse est que c'est … interdit en souvenir de la mort de Moise qui selon la tradition est mort Chabat a l'heure de Minha. La suite du texte fait mention de la tradition de reciter les Pirkey Avoth.
On retrouve la trace de cette coutume dans les ajouts de Rabbi Moche Isserlis sur le Choulhane Aroukh (2): "On ne fixe pas de midrache (etude talmudique?) entre Minha et Maariv, mais on dit les Pirkey Avoth en ete et Chir Hamaaloth en hiver, chaque lieu selon sa coutume".
De nombreuses explications ont ete donnees a cette coutume par les historiens. Le point commun de ces explications est que la coutume etait a l'origine, ainsi que vous l'indiquez dans votre question, de reciter les Pirkey Avoth non tout l'ete durant, mais uniquement entre Pessah' et Chavouoth.
Voici les trois theories les plus repandues a ce sujet.
1: Dans son "Introduction a Avoth et a Avoth deRabbi Nathan" (3), L. Finkelstein prouve de maniere detaillee que le traite de Avoth a entre autre vocations, celle de refuter les theories des Saducceens qui pretendaient que la Loi Orale etait transmise non par les Sages des Pharisiens, donc les Sages de la Michna mais par les Grands Pretres. Cette polemique a tenu une grande place a certaines epoques du Second Temple. Nous n'entrerons pas dans les details, mais le texte de la premiere michna qui parle de la transmission de la Loi Orale de Moise aux Sages de la Michna est une des preuves citees.
La periode de l'Omer, entre Pessah' et Chavouoth, du fait de la polemique sur la date de l'Omer etait une periode durant laquelle il etait necessaire de renforcer l'idee que notre tradition orale est authentique, et l'on recitait dans ce but les Pirkey Avoth.
Selon lui on recitait chaque semaine un autre chapitre des Pirkey Avoth, en commencant par la premiere michna, qui cite Moche. C'est pourquoi on a adjoint au traite de Avoth un chapitre supplementaire au traite redige par Rabbi Yehouda Hanassi, afin que le nombre de chapitres corresponde au nombre de chabbats separant les deux fetes (4).
Le probleme de cette theorie est qu'on en trouve pas la trace dans les ecrits pre-gaoniques, alors que d'apres L. Finkelstein, il s'agit d'une coutume tres ancienne.
2: Un autre chercheur, Y. Weinstock (5), a la base du texte des Gaonim que nous avons deja cite a propose l'explication suivante. Il y avait une antique tradition de ne pas etudier le Chabat entre Minha et Maariv en l'honneur de Moche. Il existe en effet une Halakha que quand le Nassi meurt, on ferme toutes les maisons d'etude. Cette tradition a ete etendu en l'honneur de Moche a un arret hebdomadaire a l'heure ou il est decede. Les questions qui apparaissent dans le Otsar Hageonim (6) prouvent a quel point cette coutume etait dur a observer. Imaginez-vous des juifs assis a la synagogue tellement de temps en silence? S'ils n'etudient pas, ils en viendront forcement a parler d'autres choses. Il fut donc decider d'instaurer en l'honneur de Moche et en souvenir de sa mort une nouvelle coutume, celle de reciter les Pirkey Avoth, presque la seule michna citant Moche.
Y. Weinstock, conscient du probleme que posait la theorie precedente, a savoir qu'elle est censee remonter a une epoque tres ancienne et devrait donc apparaitre dans le Talmud, affirme en avoir trouve la trace, mais les preuves qu'il amene ne sont pas, a mon humble avis, convaincantes.
3: Les deux theories precedentes n'ont pas resolu la question de l'apparition tardive de cette coutume dans les ecrits. La solution a cette question a ete donnee par Y. Gertner (7). Selon lui, cette coutume a ete instituee en Babylonie a l'epoque des Gaonim pour contrer l'influence des Karaites qui etaient tres actifs a cette epoque. Un de leurs principaux arguments, et Gertner cite de nombreuses sources pour etayer sa theorie, etait que les Karaites etaient les vrais detenteurs de la Tora de Moche, qui n'avait que peu a voir avec la Michna qui citait tres peu Moche Rabbenou. Qui sont les vrais eleves de Moche? La coutume de rappeler la mort de Moche de facon hebdomadaire, puis plus tard de fixer un temps d'etude en souvenir de Moche, permettait aux Juifs fideles aux traditions rabbiniques de se renforcer dans leurs convictions qu'ils etaient eux les detenteurs de la tradition mosaique.
J'ai condense autant que possible, faisant abstraction de nombreuses remarques passionnantes que ces historiens apportent pour expliquer cette coutume. Pour plus de details, si vous lisez l'hebreu, reportez vous aux ouvrages cites en notes.
Notons que ces explications n'invalident en rien les explications plus classiques: la lecture des Pirkey Avoth nous prepare a recevoir la Tora a Chavouoth, mettant l'accent sur les cotes morales de notre conduite, et nous faisant prendre conscience que nous nous appretons a feter pas seulement le don de la Loi Ecrite, mais aussi celui de la Loi Orale (8).

References: 1: Ozar Hageonim Chabat 315-316. 2: O.H. 292, 2. 3: Mavo leAvoth veAvoth deRabbi Nathan" pages 4-14. 4: Voir aussi a ce sujet, Charbit Chimon, Minhag haKrya chel Avoth beChabat veToldoth haBraytot chenispehou la beIkvotav, Bar Ilan 13 (5736), p.169. 5: Weinstock Y., Bemaagaley haNigle vehaNistar, p. 271. 6: Voir note 1. 7: Gertner Y., Lama hinhigou haGaonim Amirath Avoth beChabat, Sidra 4, p. 17. Cet article a ete repris dans un livre du meme auteur dont je n'ai pas les coordonnees sous la main. 8: Cette reponse etant exagerement longue, si vous vouliez bien reposer la seconde partie dans une nouvelle question a laquelle je me ferai un plaisir de repondre, plus succintement cette fois.

Anonyme
Samedi 8 février 2003 - 23:00

Juste une petite question concernant la réponse à celle posée le 05/02 intitulée "Entre Pessa'h et Chavouot": Si Moché Rabbénou, 'Alav Hachalom, est mort Chabbat à Min'ha, comment comprendre la citation (Midrachique?) qui affirme que Moché, au jour de sa mort, a écrit 13 Siphrei Torah? Et d'ailleurs, j'ai oublié à quel fîn ce 13ème Sefer a-til été écrit. Pouvez-vous me le préciser?

Rav Elyakim Simsovic
Jeudi 27 février 2003 - 23:00

L'enseignement cité est de l'ouvrage intitulé Daat Zéqénim miba'alé haTossafoth (Dévarim 31:26). Il a, disent-ils écrit treize Sifré Thora puis a convoqué chaque tribu et les a mis en garde et exhortés à propos de la Thora et des mitzvoth, hommes et femmes séparément. Tout un programme, et ce pour n'importe quel jour de la semaine !
Le treizième livre, il l'a déposé auprès de l'arche sainte.

Je n'ai pour l'instant pas de conciliation entre les deux sources, mais de toutes façons, il est difficile d'écrire au sens propre un Séfer Thora en trois mois, alors treize en un jour... Donc, si nous ne voulons pas - et nous ne devons pas - sombrer dans la mentalité mythologique, et même si Moché rabbénou, c'est Moché Rabbénou et qu'il a des qualités exceptionnelles, il faut prendre du recul et comprendre en tout cas que les choses ne sont pas, comme on dit, léfi pchouto, c'est-à-dire que cela ne relève pas du sens commun.