Conversation 45693 - La mort du prophète Isaïe

cacal
Samedi 31 janvier 2009 - 23:00

J'ai lu que le prophète Yéchayahou a été réprimandé par Hachem pour avoir dit"je suis un homme aux lèvres impures parmi des gens aux lèvres impures".
Je m'interroge comment il faut comprendre qu'un prophète,délégué de D. ,peut être amené à dire cela? Je précise ma question:est-ce que ces paroles font partie de sa mission de prophétie aussi? Si oui,où est-le libre arbitre alors...?
Réponse urgente merci.

Jacques Kohn z''l
Dimanche 1 février 2009 - 10:54

La question posée se relie aux circonstances, particulièrement tragiques, de la mort du prophète Isaïe, telles que les rapporte la Guemara Yevamoth 49b.

Lors de l’accession au trône du roi Manassé, celui-ci instruisit contre le prophète un procès en hérésie :

Il lui lança : « Ton maître Moïse a dit (Chemoth 33, 20) : Car nul homme ne peut “Me voir” et vivre. » Et toi tu as osé dire (Isaïe 6, 1) : « L’année de la mort du roi Ozias, “je vis” Hachem siégeant sur un trône élevé et majestueux. » Ton maître Moïse a dit (Devarim 4, 7) : « Car quelle est la grande nation qui ait des dieux proches d’elle, comme Hachem, notre Dieu, l’est “toutes les fois que appelons vers Lui ? » Et toi tu as laissé écrire (Isaïe 55, 6) : « Cherchez Hachem pendant qu’Il est accessible, appelez-Le pendant qu’il est proche ! », [ce qui implique qu’il y a des moments où Il n’est ni accessible ni proche (Rachi ad loc.)]. Ton maître Moïse a dit (Chemoth 23, 26) : « Je comblerai la mesure de tes jours », [c’est-à-dire sans jamais rien y ajouter (ibid.)], mais toi (II Rois 20, 6 et Isaïe 38, 5) : « Je prolongerai ta vie de quinze ans. »

Isaïe renonça à se défendre contre cette accusation, « stalinienne » avant la lettre, soit qu’il sût d’avance que ses arguments ne seraient d’aucun poids face à la haine que lui vouait son petit-fils, soit qu’il ait choisi délibérément de faire de son bourreau un instrument inconscient de son crime, et non un acteur opérant de manière préméditée. Il s’est ainsi comporté comme le véritable « Serviteur souffrant » dont parle le chapitre 53, et notamment son verset 7 : « Maltraité, injurié, il n’ouvrait pas la bouche. »

Son silence fut considéré comme un aveu, et on le condamna à mort.

Au moment où il allait être exécuté, un miracle se produisit et il fut happé dans un cèdre. Devenu aussi dur qu’un pilier de marbre, il n’offrait plus aucune prise à la scie qui aurait dû le découper.

Cependant, lorsque celle-ci entra en contact avec la bouche d’Isaïe, elle trouva son point faible : sa langue. C’est elle qui, lorsqu’il avait été appelé par Hachem à la prophétie, avait proféré : « Malheur à moi, je suis perdu ! Car je suis un homme aux lèvres impures, je demeure au milieu d’un peuple aux lèvres impures… » (6, 5). Il avait le droit, lui reprocha Hachem, d’invoquer l’impureté de ses propres lèvres, mais pas celui de médire du peuple d’Israël en évoquant son impureté collective : « Ne dénigre pas le serviteur devant son maître ! » (Proverbes 30, 10). C’est ainsi que la scie trancha ses lèvres et qu’il mourut. C’est à cet « assassinat judiciaire » commis par Manassé que l’on a appliqué le verset (II Rois 21, 16) : « Manassé versa tellement de sang innocent qu’il en emplit Jérusalem “de bouche à bouche” » (Yerouchalmi Sanhédrin 10, 2).

cacal
Samedi 31 janvier 2009 - 23:00

Bonsoir Rav Kohn,
suite à la 45693,si Manassé avait des arguments justes,alors pourquoi Isaïe s'est livré à avancer ces paroles qui lui ont coûté la vie?
Ma question est :pourquoi ,de la part d'un prophète,cela ne risque pas de remettre en cause le reste de ses paroles prophétiques ??
En fait j'ai du mal à accepter qu'un prophète, qui est une "extention" de Hachem Ytbara'h Chemo,puisse dire des paroles comme ça,et à un second degré ,vivre des moments tragiques comme ça!
Réponse urgente,merci
Col touv et chavoua tov

Jacques Kohn z''l
Mercredi 4 février 2009 - 00:07

Le destin du prophète Isaïe n’est pas sans rappeler celui de Moïse. Lorsque Hachem lui ordonna de parler à un rocher pour en faire jaillir de l’eau, celui-ci traita les enfants d’Israël de « rebelles » et frappa le rocher (Bamidbar 20, 8 et suivants). Aussi Hachem punit-il Moïse en lui déclarant : « Hachem dit à Moïse et à Aaron : Puisque vous n’avez pas cru en Moi pour me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël vous ne ferez pas entrer ce peuple dans le pays que Je lui ai donné » (Ibid. 20, 12).

C’est ainsi que, pour une faute relativement vénielle, Moïse et Aaron ont été privés de ce pour quoi ils avaient consacré leurs existence : Accompagner les enfants d’Israël jusqu’en Terre sainte.

De la même manière, Isaïe a été lourdement puni par Hachem pour avoir médit du peuple juif.

Ces destins constituent la mise en application d’un principe talmudique souvent cité : « « Le Saint béni soit-Il est attentif envers les faits et gestes de ceux qui l’entourent comme l’épaisseur d’un cheveu… » (הקדוש ברוך הוא מדקדק עם סביביו כחוט השערה Yevamoth 121b). En d’autres termes, le moindre écart d’un juste est jugé par Hachem avec plus de sévérité que celui d’un homme ordinaire, ou en bon français : « Qui aime bien châtie bien. »