Conversation 47205 - Maimonide possek vs. Maimonide philosophe

joel
Lundi 18 mai 2009 - 23:00

Shalom Rav,
Dans votre réponse à la question 45753, vous écrivez :
"il existe des divergences entre ce qu'il (Maimonide) ecrit dans le Michne Torah (qui etait pour lui un livre de halakha, destine a tout un chacun) et dans le Guide des Egares ".
Souhaitant approfondir ce sujet, pouvez vous me donner les références dans le Mishne Torah et dans le Guide des Egarés?

Merci pour le temps que vous nous consacrez.

Emmanuel Bloch
Dimanche 8 novembre 2009 - 10:49

Chalom,

Vaste question! Il n'y a pas réellement de liste de références que je pourrais vous fournir, ce sont des parties entières des deux livres qu'il faut étudier en parallèle. Mais je peux néanmoins vous donner quelques éléments de réflexion, sachant que cette problématique de la relation entre le Michneh Torah et le Moreh Nevoukhim a occupé les esprits les plus incisifs pendant des siècles, et que donc un livre entier serait nécessaire pour vous répondre complètement.

(Juste à titre d'exemple: le rav Yaakov Emden, connu généralement sous l'acronyme "Yaavetz", l'un des plus grands décisionnaires du 18ème siècle, est fameux pour avoir déclaré à plusieurs occasions que l'auteur du Guide ne peut être l'auteur du Michneh Torah - les deux livres seraient irréconciliables selon lui. Cette opinion reste toutefois isolée dans la pensée juive, mais elle me semble être un bon indicateur de la tension ressentie parfois entre Maimonide le décisionnaire et Maimonide le philosophe.

Sur la position du r. Emden à propos de Maimonide, voyez l'article du rav Jacob J. Schachter dans Tradition 29/3 : R. Jacob Emden, Philosophy, and the Authority of Maimonides. Dans la suite de ma réponse, je présente une vision plus conventionnelle de la pensée du Rambam).

En premier lieu, notons que le Rambam décrit explicitement, dans l'introduction de chacun de ses livres, quel est le public-cible qu'il vise. C'est ainsi que dans l'introduction au Sefer haMitsvot (paragraphes 40-42), qui est lui-même un prélude au Michneh Torah, Maimonide écrit que son but est de clarifier la halakha, dans un langage simple, clair et accessible à tous, afin que petits et grands puissent savoir quelles sont leurs obligations religieuses (1).

D'autres textes maimonidiens visent également le grand public. Tel est le cas de son Commentaire de la Michna.

Au contraire, il ressort de l'introduction du Guide que ce dernier ouvrage ne vise que les "Egarés", c'est-à-dire les apprentis philosophes qui sont troublés par les contradictions qu'ils découvrent entre l'héritage aristotélicien et la pensée juive traditionnelle. Le Moreh ne vise qu'une petite élite intellectuelle, et Maimonide met en garde contre le danger de le mettre entre toutes les mains, ce qui pourrait provoquer de graves dommages chez le lecteur immature. De toute manière, prévient Maimonide, le Guide a été rédigé de manière volontairement ambiguë. Les sujets sont mélangés, des contradictions internes sont voulues, et l'intention réelle de l'auteur n'est accessible qu'après une étude très approfondie. (2)

Dans le Guide (III:51), Maimonide explique également, par sa fameuse allégorie du palais, que tous les hommes ne sont pas égaux dans leur connaissance de la vérité. Certains sont plus avancés que d'autres. Les savants talmudistes mais ignorants de philosophie sont selon le Rambam au quatrième niveau (sur sept) : ils ont trouvé le palais du Roi, mais tournent autour en cherchant l'entrée. De cette conception, il n'y a qu'un pas à faire pour admettre que Maimonide s'adresse différemment aux gens selon leurs différents niveaux.

Il est donc possible que les différences entre le Moreh et les autres oeuvres du Rambam proviennent simplement d'une différence de point de vue, et non de fond - un objet apparaît différent selon l'angle d'observation, mais il reste le même. Alternativement, il est tout aussi possible que ces divergences trouvent leur origine dans la volonté de Maimonide de cacher ses vraies opinions aux yeux de la masse, et de ne les afficher que pour l'élite.

Où est le vrai Rambam ? Les réponses les plus diverses et variées ont été données, au fil des siècles, à cette question.

Maintenant, pour vous donner quelques exemples concrets de différences et contradictions entre les différents écrits du Rambam:

1. S’agissant de l’immortalité de l’âme dans le monde futur, le Rambam semble la réserver dans le Guide (II : 27) aux « âmes des hommes d’élite », soit a priori celles qui ont été perfectionnées par l’étude de la philosophie (cf. I : 70). Rien de tel dans le Michneh Torah, à la lecture des Hilkhot Techouva, perek 8, et Hilkhot Yessodei HaTorah 4 : 8 ss.

2. Les sacrifices sont présentés dans le Moreh comme une concession aux mœurs idolâtres de l’époque (III :32). Ceci ne se retrouve pas dans le Michneh Torah (voyez le Sefer HaAvodah).

3. La distinction habituelle entre les mitsvot accessibles à la raison (Michpatim) et celles qui sont des décrets du Roi (‘Houqim) forme la base de la réflexion maimonidienne dans certains textes, comme dans son commentaire sur les Pirkei Avot, introduction (chemona prakim) chapitre 6. Or, cette distinction est explicitement rejetée dans le Guide (III :26).

4. Importance de la prière : dans le Michneh Torah, voyez le Sefer Ahava, Hilkhot Tefila ouBirkat Cohanim, et aussi Hilkhot Taaniot 1 :7. Dans le Guide, voyez entre autres : I :45 et 47, III : 28, 32 (au milieu), 44, et 51.

Bonne étude !

Sources :
(1) texte du Sefer haMitsvot : http://www.mechon-mamre.org/i/0000.htm
(2) introduction du Guide : http://press.tau.ac.il/perplexed/chapters/chap_1_00P.htm

Les autres textes cités dans la réponse sont aisément accessibles on-line en cherchant sur les deux sites web ci-dessus.