Conversation 49893 - La premiere femme rabbin orthodoxe

modernorthodox
Mercredi 25 novembre 2009 - 23:00

Chalom à tous les rabbanim!
Je m'apprete à écrire un article sur mon blog (http://modernorthodox.over-blog.com/) à propos de l'ouverture de la Yeshivat Maharat à New-York par le Rav Avi Weiss et la nomination de la premiére "maharat" orthodoxe.
J'aimerai savoir quel est le point de vue d'un ou plusieurs Rav de cheela.org sur la question.

ci-joint quelques liens qui pourraient vous renseigner si vous ne savez pas de quoi il s'agit:
http://blogs.forward.com/sisterhood-blog/106606/
http://blogs.jta.org/telegraph/article/2009/05/18/1005240/new-program-t…
http://www.hir.org/Forms_2009/saras_speach.pdf

cordiallement

le webmaster de modernorthodox

Emmanuel Bloch
Mardi 1 décembre 2009 - 10:51

Chalom,

Avant de parler de halakha, je voudrais commencer par elargir quelque peu le debat et replacer votre question dans son contexte sociologique.

1. Le principe de l'egalite entre les femmes et les hommes, aujourd'hui generalement compris par la conscience collective occidentale comme une donnee fondamentale de l'organisation de la societe (dans la theorie et dans la loi tout du moins, car dans les faits de nombreuses discriminations persistent), semble a priori se heurter a de nombreuses prescriptions de la halakha. La Torah indique en effet que les roles de la femme et de l'homme sont bien distincts, les femmes etant par exemple exclues de l'application d'un certain nombre de mitsvot, ou de la tenue de fonctions officielles, etc., ce qui, dans une vision moderne de la vie, revient a dire qu'elles ont un statut inferieur. En reaction, de tres nombreuses reponses ont ete donnees par differents penseurs juifs, la reflexion se poursuivant d'ailleurs de nos jours (cf. ma reponse 46716 par exemple).

De tous les aspects lies a cette problematique moderne de la place de la femme dans la Torah, la question de savoir si l'on peut nommer une femme rabbin est sans aucun doute la plus difficile, du fait de sa portee symbolique evidente.

Dans les courants non-orthodoxes du Judaisme, il a depuis longtemps ete decide de nommer des femmes rabbins. C'est le cas chez les juifs liberaux depuis le 29 juin 1922, et chez les juifs conservative depuis le 24 octobre 1983. Dans ce dernier cas, la decision provoqua des discussions sans fin dans le mouvement et finit par le couper en deux, la branche la plus traditionnelle (mais aussi la plus petite en termes d'adherents) decidant a cette occasion de se separer et de fonder ses propres institutions, sous le nom de "Union for Traditional Judaism".

Chez les orthodoxes, je crois pouvoir avancer, sans risque aucun de me tromper, qu'aucune femme ne sera jamais nommee rabbin chez les 'hareidim. Dans les autres sous-courants du judaisme orthodoxe, pour l'instant du moins, la reponse est tout aussi negative... mais l'on percoit quelques signes precurseurs d'une eventuelle ouverture du debat sur la question dans les cercles les plus modernes.

C'est dans ce contexte qu'il faut je crois comprendre les recents evenements dont vous voulez parler sur votre blog. Le rav Avi Weiss, fondateur et Roch Yechiva de YCT (Yeshiva Chovevei Torah) a New York, se situe a l'extreme limite de ce que l'on comprend comme etant encore orthodoxe. Pour etre honnete, sa philosophie du judaisme, appelee "Open Orthodoxy", est consideree avec une mefiance certaine meme dans les bastions de l'orthodoxie moderne, par exemple a Yeshiva University. L'annonce de la nomination de la premiere "maharat" (laquelle, selon les declarations du rav Weiss, sera habilitee a remplir 95% des fonctions normales d'un rabbin) est symptomatique du lent glissement des opinions au sein de l'orthodoxie modernes.

Dans le meme sens progressiste, mais en Israel cette fois, vous trouverez par exemple la prise de position du rav sioniste religieux 'Haym Navon (dans le periodique de la yechiva Beit Moracha, Akdamout numero 22, pp. 86-95). Et meme le rav Norman Lamm, chancelier de Yeshiva University, a recemment fait quelques declarations prudentes allant dans le sens d'une certaine ouverture.

Ces voix restent neanmoins tres isolees au sein de l'orthodoxie. Pour resumer la situation en deux mots, toute la question des femmes rabbins ne se pose aujourd'hui que dans les cercles orthodoxes les plus modernes, en Israel et aux USA. Dans la grande majorite du judaisme orthodoxe, une femme rabbin n'est pas une realite envisageable.

2. Je passe maintenant au deuxieme volet de cette reponse, pour envisager la situation du point de vue de la halakha. Les obstacles halakhiques a la nomination d'une femme rabbin sont nombreux.

a. Selon certaines sources, une femme n'a pas le droit d'etre nommee a une fonction publique. Voyez ce qu'ecrit a ce sujet le Rambam (Hilkhot Melakhim ouMilkhamot 1:5): אין מעמידין אישה במלכות--שנאמר "מלך" (דברים יז, טו), ולא מלכה; וכן כל משימות שבישראל, אין ממנים בהם אלא איש.

b. Un principe halakhique bien connu fixe que les femmes sont exemptes de toutes les mitsvot positives liees au temps (כל מצוות עשה שהזמן גרמא – נשים פטורות) - Michna Kidouchin 1:7. Or, celui qui est exempte d'une mitsva ne peut en exempter autrui. En consequence de quoi, les femmes ne peuvent etre Chalia'h Tsibour (etant exemptes de la mitsva de prier liee au temps, elles ne peuvent en exempter autrui), ou Baal Koreh, sonner le chofar, lire la meguila, etc., etc.

c. Une femme ne peut etre ni temoin ni juge (cf. Sifri sur Devarim 19:17. Guemara Chavouot 30a. Rambam, Hilkhot Edout 2:9), ce qui signifie qu'une femme rabbin ne pourrait signer sur la ketouba du mariage qu'elle aurait celebre, ni signer sur un guet, ...

Cette liste n'est d'ailleurs pas exhaustive. Vous pouvez ainsi constater que les obstacles halakhiques sont tres serieux. Par consequent, sauf dans les cercles orthodoxes les plus modernes que nous avons discutes, nous n'allons pas voir de sitot une femme remplir des fonctions rabbiniques. Mais il va etre passionnant de suivre le debat et l'evolution eventuelle dans les annees a venir, car le probleme du clash entre feminisme et valeurs de la Torah n'est pas pret de s'estomper.

Je vais terminer sur deux remarques. La premiere, c'est qu'une question importante a poser est celle de savoir ce que recouvre exactement l'appellation "rabbin". On peut concevoir la fonction rabbinique de plusieurs manieres. Selon la conception la plus traditionnelle, le rabbin est un erudit en Torah remplissant certaines fonctions precises au sein de sa communaute (mariages, divorces, arbitrer les conflits, prieres, ...). Mais on peut concevoir le poste de rabbin d'une autre maniere, car on attend aussi d'un rabbin qu'il serve d'initiateur d'activites communautaires, qu'il visite les malades et aide les pauvres, conseille et soutienne, etc. Plus on comprend la fonction de rabbin selon sa premiere acception, la plus religieuse, plus les problemes halakhiques sont importants, et vice-versa.

Ma deuxieme et derniere remarque concerne l'appellation MaHaRat que vous citez. Derniere ce neologisme barbare se cache une abreviation (de l'expression: מנהיגה הלכתית רוחנית תורנית), car il fallait bien trouver autre chose pour designer une femme rabbin ... en effet, "rabbanit" ou "rebbetzin", ce n'est pas une femme avec une smikha, c'est la femme du rabbin de la communaute!

modernorthodox
Samedi 5 décembre 2009 - 23:00

suite à la 49893,
Merci pour cette réponse très complée et très détaillée.
Je me permet quand même de vous redemander quel est votre point de vue. En effet, malgré cet excellent exposé halakhique, je ne suis pas très sur d'avoir compris votre avis personel sur la question...

ci-joint l'article en question : http://modernorthodox.over-blog.com/article-une-femme-rabbin-et-orthodo…

Merci encore.

le webmaster de http://modernorthodox.over-blog.com/

Emmanuel Bloch
Dimanche 6 décembre 2009 - 13:47

Chalom,

Vous avez tout a fait raison, je n'ai pas donné mon opinion personnelle. En fait, c'etait un peu a dessein, car pour tout vous dire je suis assez partagé. A mes yeux, il est loin d'etre aisé de résoudre les questions soulevées par cette problematique de l'ordination d'une femme rabbin orthodoxe.

D'une part, j'ai essayé de demontrer que les problemes halakhiques sont bel et bien reels (et a mon sens votre article les sous-estime nettement). D'autre part, je pense qu'il faudra bien integrer, dans le systeme halakhique, la nouvelle realite de la femme moderne, dont les connaissances, les aptitudes et les realisations sont completement egales a celles de l'homme. Le dilemme n'est ainsi pas facile a trancher.

Il y a un autre parametre qui n'a pas encore ete mentionné. Meme si l'on admet une evolution continue et progressive de la halakha afin de la maintenir en adequation avec les besoins de l'epoque, il est probablement salutaire que cette evolution ne se fasse pas trop vite ni trop brusquement.

En fait, c'est le propre de tout systeme juridique de changer plus lentement que la societe qu'il vient reguler. Puisque nous parlons des droits des femmes, vous serez peut-etre surpris d'apprendre qu'en Suisse il restait des endroits ou les femmes ne disposaient pas du droit de vote jusqu'en 1991 (!). C'est la un exemple extreme, mais tres revelateur.

La halakha, qui reflete une norme d'origine divine, evolue encore beaucoup plus lentement qu'un systeme juridique fonde sur l'entendement humain. Et, meme si on peut etre parfois quelque peu surpris du conservatisme indéniable affiché par les decisionnaires, il y a dans cette politique beaucoup de sagesse. La halakha ne doit pas devenir une girouette s'adaptant a chaque mode passagere.

En fait, je crois qu'en derniere analyse ce qui me derange le plus dans la decision du Rav Weiss, c'est qu'elle est prematuree. Le feminisme est une immense revolution sociale, et il faut laisser le temps a la societe juive religieuse de decider dans quelle mesure et a quel rythme elle est prete a changer, et comment faire refleter ces changements dans les normes qui la gouvernent.

Ou je me trompe fort, ou bien le debat sur la place de la femme dans la religion juive vient a peine de s'ouvrir. Il nous occupera pendant de nombreuses annees encore. Nommer aujourd'hui une femme rabbin, c'est sauter a la conclusion de l'histoire sans avoir pris la peine d'ecrire son developpement.