Conversation 3054 - Quand prononcer le "cheva"?

Anonyme
Dimanche 15 décembre 2002 - 23:00

Bonjour,
Je voudrai connaitre la règle de grammaire pour la prononciation du CHEVA : é. J’ai un ami qui m’a donné une façon mnémotechnique pour s’en rappeler mais il ne connaissait pas tout :
 ALEPH : en début de mot
 BETH : lorsque deux cheva se suivent
 GUIMEL : GADOL les voyelles GUEDOLA (mais il ne les connaissait pas, donc à vous de jouer)
 DALETH : lorsqu’il y a un DAGUECH
Merci de compléter la règle et de me transmettre les voyelles dites GUEDOLA
CHAVOUA TOV

Rav Elyakim Simsovic
Lundi 27 janvier 2003 - 23:00

Voilà le type de question qui oblige à réviser bien des règles de la grammaire hébraïque ! Merci de l'avoir posée.
Essayons d'attraper un fil et de le suivre sans faire trop de noeuds (prévoyez votre boisson préférée et quelques biscuits. Non, pas besoin d'aspirine.)

1. Il existe deux types de shéva, celui qu'on appelle le shéva na', ou mobile, qui se prononce "é" chez les séfardim et "eu" chez les francaoui et le shéva na'h, ou muet, qui ne se prononce pas pour la bonne raison qu'il sert simplement à indiquer que la lettre qui le porte n'a pas d'autre voyelle. Il existe aussi des "semi-voyelles" ou voyelles composées, à savoir les voyelles brèves (voir §5 ci-dessous) a, è et o couplées avec un shéva. On les appelle : 'hataph-pata'h, 'hataph-sègol ou 'hataph-qamatz, ou encore shéva-pata'h, shéva-sègol et shéva-qamatz, qui seront notés respectivement ã, ê et õ.

[Conventions :
Dans les exemples qui suivent, le shéva mobile sera noté avec un tréma (ë) pour le distinguer du tséré (é) ; le shéva muet sera tout simplement élidé ou marqué par un e non-accentué dans certains exemples.
Lorsque nécessaire, les syllabes seront matérialisées par un trait vertical (|) = shô|mërim.
La syllabe accentuée d'un mot, lorsque nécessaire, sera indiquée par une majuscule.
Des dénotent des formes grammaticalement prohibées.]

2. une syllabe peut être ouverte ou fermée. Elle est dite ouverte lorsqu'elle se termine sur une voyelle et fermée lorsqu'elle se termine sur une consonne. Une syllabe ouverte porte normalement une voyelle longue et une syllabe fermée une voyelle brève.

3. une syllabe peut être accentuée, c'est-à-dire qu'elle porte l'accent tonique, ou non accentuée, vous devinez la suite. Dans la plupart des mots en hébreu l'accent tonique est sur la dernière syllabe ; on les appelle "milra'". Quand l'accent est sur l'avant-dernière syllabe, on dit que le mot est "mil'el".
Une syllabe ouverte accentuée peut porter une voyelle brève et inversement une syllabe fermée accentuée peut porter une voyelle longue. D'où une règle importante : Une syllabe fermée non-accentuée doit porter une voyelle brève. (Voir § I. ci-dessous)

4. Certaines lettres peuvent être redoublées. Elles sont marquée par un point dans la lettre appelé "daguesh". Celui-ci peut être "fort" ou "léger" ; dans le cas qui nous occupe, c'est un daguesh fort.

5. Les voyelles {a, é, i, o, u [prononcer "ou"]} peuvent être brèves ou longues.
Les voyelles brèves sont : pata'h (a), sègole (è), 'hiriq (i), qubutz (u)(prononcer qouboutz et ou comme dans chou) et qamatz 'hatûph (o comme dans veau) aussi appelé qamatz gadol.
Les voyelles longues sont : Qamatz (â) aussi appelé qamatz qatane, tséré (é) [parfois suivi d'un yod muet], 'hîriq long (î) toujours suivi d'un yod muet, shûruq (prononcer shourouq et ou, comme dans hou le vilain) et hôlam (o comme dans or).

6. Il existe quatre lettres dites gutturales qui sont le aleph, le hé, le 'heth et le 'ayine qui présentent diverses particularités ; l'une d'entre elles concerne le shéva.

Voilà pour les définitions de base du vocabulaire. Si vous êtes encore là, je continue.

A. Un shéva est mobile au début d'une syllabe (et donc au début d'un mot) comme dans bëréshit.

B. Un shéva est muet lorsqu'il termine une syllabe,

C. Au milieu d'un mot, le shéva qui suit une voyelle longue est mobile (comme dans shô|mërim) et le shéva qui suit une voyelle brève est muet (comme dans yishmor).

D. Quand deux shéva se suivent au milieu d'un mot, le premier est muet et le deuxième mobile (comme dans yish|mërû). En effet le premier ferme la syllabe qui le porte et le deuxième se trouve donc au début d'une syllabe.

E. Le shéva porté par une lettre redoublée (qui porte un daguesh fort) est mobile. En effet, dans un mot comme mipëné, tout se passe comme si nous avions en fait mip|pëné et nous sommes donc ramenés au cas du paragraphe précédent (D.)

F. Pour des raisons phonétiques, une lettre gutturale au début d'une syllabe (et donc au début d'un mot) ne peut pas prendre de shéva. Celui-ci est alors remplacé par une semi-voyelle ; je laisse de côté les règles qui déterminent laquelle. Par exemple, le verbe "garder", shamor, devient à l'impératif shëmor. De manière correspondante, le verbe "passer", 'avor ('ayine-beth-resh) devrait devenir 'ëvor ce qui est prohibé par la phonétique. Il devient donc 'ãvor avec un cheva-pata'h sous le 'ayine.

G. Une syllabe ne peut commencer avec deux shéva. Il arrive toutefois que le fonctionnement de la langue entraîne une situation où c'est ce qui devrait se produire. Dans ce cas, le premier shéva est remplacé par la voyelle brève la plus proche, c'est-à-dire un 'hiriq. Soit par exemple, le nom Samuel, en hébreu shëmûel. Pour dire "à Samuel", le nom devrait être préfixé par la lettre lamed portant un shéva, ce qui donnerait , forme prohibée. Le premier shéva est alors remplacé par un 'hiriq (=li) et nous obtenons lishëmûel, le deuxième shéva restant mobile (li|Shë|mûel).

H. Enfin, lorsqu'un shéva muet précède un shéva composé, il prend par contamination phonétique la valeur de la voyelle brève correspondant au shéva composé. Soit le mot Êdom (aleph + shéva-sègol, daleth, mem). Pour dire "à êdom", nous devrions avoir , forme prohibée. Le premier shéva devient un sègol et nous aurons lèÊdom.

Ouf ! Respirez, faites une pause ; ce qui suit est un peu marginal par rapport au shéva, mais très important pour la prononciation correcte de plusieurs passages de la prière.

I. La règle énoncée à la fin du §3. ci-dessus a une importance particulière pour déterminer si un qamatz (voir §5.) est qatane ou gadol. Je ne me réfèrerai ici qu'à l'aspect mettant en cause le shéva.
Soit le mot 'hokh|Ma ('heth + qamatz, khaf + shéva | Mem + qamatz + hé). Il est accentué milra'. La syllabe -'hokh- est fermée (khaf + shéva muet) et non-accentuée : le qamatz est gadol et se lit o.
Mais le verbe "être sage" au féminin imparfait s'écrirait apparemment de la même manière : 'heth + qamatz, khaf + shéva, mem + qamatz + hé et se lirait pourtant 'hakhëma. En effet, dans ce cas, la décomposition en syllabes est 'ha|khë|mah. La première syllabe est ouverte et sa voyelle est donc longue.
Et pour finir, un exemple qui a son importance pour la prononciation de certains mots dans la prière. Dans la quatrième bénédiction du shëmoné esré, "ata 'honen laadam da'at..." (Tu fais grâce à l'homme de la faculté de connaître), nous disons (ashkënazim) : 'honénû mé|itékha dé'a bina véhasqel, ou (sëfaradim et 'hassidim) : 'honénû mé|itékha 'hokhma bina véda'ath.
Le "o" de "ata 'honen" est un 'holam mais celui de "'honénû est un qamatz. Beaucoup font l'erreur de le lire "a" parce qu'il est suivi d'un noun + tzéré et non d'un shéva comme dans 'hokhma (pour ceux qui ont l'habitude de la téfila, la même erreur est courante dans le ya'alè veyavo : <'hûs vë'hannénû> alors qu'il faut dire 'hous vë'honnénû.)
En effet, le noun porte un daguesh fort (vous vous souvenez...) et tout se passe comme s'il était écrit <'honenénû>. Nous avons donc la décomposition en syllabes 'hon|né|nû (= 'heth + qamatz + noun virtuel | noun + daguesh fort + tzéré | noun + shûrûq.
Exercice : le qamatz du début se trouve dans ?
Si vous avez répondu "une syllabe fermée non accentuée" vous avez
gagné ! Et par conséquent (règle de la fin du §3) la voyelle doit être ?
Si vous avez répondu "brève" vous avez encore gagné !

Et juste pour le "kéf", dans le Hallel, dans le paragraphe qui débute par "lo lanû, Hashem, lo lanû", le deuxième verset commence par "lama yomërû hagoyim ayé eloqékhem" (pourquoi les goyim diraient-ils : "où est votre Dieu ?") Le mot "lamah" (rien à voir avec le Pérou) s'écrit lamed + qamatz + mem + daguesh + qamatz + hé. Tout se passe donc comme si nous avions et si nous appliquons ce qui a été dit au paragraphe précédent (mais non, il n'y a pas si longtemps), nous avons un qamatz dans une syllabe fermée, donc ? Voyelle brève ? Tombé(e) dans le piège ! Je n'ai pas dit "syllabe fermée non accentuée". C'est précisément une syllabe fermée accentuée, le mot étant "mil'el". Donc voyelle longue, donc "a" et non "o".

Un mot pour conclure. Certains d'entre vous doivent se dire que c'est compliqué. C'est vrai que c'est toujours compliqué quand on ne sait pas. Mais en vérité, c'est non seulement très simple mais très logique. Seulement voilà, s'agissant de nous et de l'hébreu, nous avons tendance à oublier qu'on apprend naturellement à parler sa langue maternelle avant de l'écrire. Et pour ceux pour qui ce n'est pas le cas, il faut découvrir qu'on est donc dans une situation anormale. Parce que nous apprenons alors l'hébreu comme une langue étrangère et nous sommes ainsi étrangers à nous-mêmes.
Quand le souffle de la langue, son rythme et sa musique nous redeviennent familiers, toutes ces histoires de syllabes fermées et ouvertes mil'el et milra' et compagnie, nous les respirons comme l'air pur des monts de Judée où Jérusalem repose comme dans un écrin. Alors, si c'est trop tard pour beaucoup d'entre nous, qu'au moins nos enfants ou nos petits-enfants...

histoire
Dimanche 6 janvier 2008 - 23:00

Shalom à tous,

je voudrais particulièrement remercier le Rav Elyakim Simsovic pour son excellente leçon de grammaire hébraïque : N° 3054

MERCI BEAUCOUP !!!

kol touv lé koulam

Rav Elyakim Simsovic
Mercredi 26 mars 2008 - 22:27

Dont acte. Merci.