Conversation 22518 - Sous la contrainte

lagi
Lundi 21 mars 2005 - 23:00

Bonjour Rav,

J'ai une question classique a vous poser. les sources nous enseignent que lors de Matan Thora, Dieu a renverser le Mont Sinai sur les Hebreux (''kafa aleem har kegigit'') en les enjoignant a ne pas refuser cette Thora, car dans ce cas ils mourraient tous. D'autres sources nous enseignent que Dieu a propose la Thora a tous les peuples, et que ces derniers ont repondu: ''qu'y a-t-il dedans?''; les Hebreux, au contraire, auraient immediatement fait voeux d'obeissance inconditionnelle et aveugle, avant tout examen des preceptes enseignes, d'ou leur merite. D'ou, aussi, la question que je vous pose: quel merite y a-t-il a accepter une loi contraint et force, sachant que l'alternative est de mourrir instantanement? En quoi sommes nous plus meritant que les autres nations? Si nous n'avions pas ete contraints et forces, n'aurions nous pas nous aussi prefere jeter un coup d'oeil dans le contrat avant de signer?
merci pour vos reponses toujours instructives.

Rav S.D. Botshko
Jeudi 7 avril 2005 - 23:00

je vous rapporte ici un article de mon livre "A la Table de Chabbat" qui traite de votre question. En espérant qu'il vous donne un petit éclaircisement.

ICI OU LA BAS

"Israël s'installa sous la montagne" .

"Sous la montagne?" S'interroge Rav Yossef Bar Avdimi.
Oui, explique t il, ce verset nous enseigne que D ieu plaça le Mont Sinaï au dessus des hébreux comme un tonneau et leur dit: "Si vous acceptez la Thora, c'est bien, sinon là bas sera votre tombeau".
Rav A'ha fils de Yaakov interpella: Si c'est ainsi, la violence a été utilisée pour la Thora! (Rachi explique: la Thora a été acceptée sous la contrainte et ceux qui ne la respectent pas ne pourront être considérés comme parjures). Rava le rassura: A l'époque du Roi Assuérus, les juifs réacceptèrent la Thora comme il est dit : "les juifs accomplirent et acceptèrent" qu'il faut interpréter: ils accomplirent ce qu'ils avaient déjà accepté au Mont Sinaï .

Liberté ou contrainte

Ce texte de la Guemara Chabbat remet en question des notions largement développées par ailleurs. En effet dans cette même page, la Guemara insiste sur le fait que les hébreux avaient librement accepté la Thora et avaient dit ensemble dans une magnifique unanimité: "NAASSE VENICHMA"; nous obéirons à D ieu, puis nous nous efforcerons de comprendre.

La fin du texte de la guemara citée plus haut semble, lui, contredire une Michna de Sanhédrin:
Rabbi Yehoshua enseigne, le Messie ne viendra que si les juifs feront Techouva, reviendront à D ieu. Rabbi Eliezer lui objecte, comment peux tu affirmer cela, D ieu a promis le Messie, mais il ne peut forcer l'homme à se repentir! Si, lui répondit Rabbi Yehoshua, Il peut envoyer un roi méchant comme Aman et les juifs se repentiront .

Ainsi, la période d'Assuérus ne représente pas le libre choix, mais bien au contraire une terrible contrainte.
* * *

"Là bas sera votre tombeau" menaça D ieu; "là bas"! On aurait dû dire ici; si vous ne dites pas oui la montagne vous écrasera. Que signifie donc "là bas"?

Doute ou confiance

"En fait D ieu n'a pas menacé les enfants d'Israël, Il leur a donné le choix entre "ici" et "là bas"; "ici", c'est la montagne qui a la forme d'un tonneau renversé; "ici" c'est l'acceptation des commandements divins immédiatement et sans réfléchir; "ici" c'est placer sa confiance en l'Auteur de la Thora, se protéger de tout danger extérieur, entouré des parois du tonneau; "là bas", c'est l'aventure, c'est réfléchir avant de dire oui, connaitre, comprendre et refuser l'aveuglement.
D ieu dit à l'homme: vous avez le droit de choisir "là bas", mais Je vous avertis, le grand large, c'est dangereux, c'est récidiver le pari d'Adam qui prit la responsabilité de manger du fruit de la connaissance même au prix d'y laisser sa vie.
Les hébreux, dans un moment de foi tout à fait exceptionnel acceptèrent "ici" sans aucune hésitation. A ce moment, les juifs s'étaient élévés au niveau des anges; ceux-ci vinrent d'ailleurs immédiatement leur poser des couronnes sur leur tête .
C'est ainsi que les hébreux ont choisi délibérément de rester "sous la montagne", d'opter pour l'obéissance.
* * *

Remarquons les paroles de Rabbi A'ha ben Yaakov; il n'a pas dit on a usé de violence envers les enfants d'Israël, mais il a dit on a usé de violence envers la Thora.

Ouvert ou fermé

Quoi! S'est il écrié, la Thora ne s'acquiert pas dans un mouvement frénétique, il ne s'agit pas d'une vente aux enchères, mais d'un effort et d'une réflexion de longue haleine. Si aujourd'hui on adore, demain on brûlera ce que l'on a adoré; c'est lentement, et sûrement que l'on monte les échelles de la Sainteté. C'est dans la crainte et le tremblement que l'on dit oui à D ieu, ce n'est pas en s'enfermant dans un tonneau, ignorant que l'on est des hommes toujours tenté par le "là bas" et que si nous choississons le tonneau, on risquera de le briser pour aller "là bas". Cette frénétique unanimité est immédiatement belle, mais à la longue peut s'avérer plus dangereuse que le chemin long et sinueux de la réflexion et de la compréhension profonde.

Rava étudiait la Thora avec passion; il ne faisait même pas attetion que, de son pied, il écrasait son doigt d'où coulait du sang; un caraïte l'aperçut et lui dit: Peuple impulsif, Vous n'avez pas changé !

Rigueur ou passion

Effectivement, Rava qui compte parmi les plus grands Amoraïm, connu pour la puissance et la rigueur de sa logique avait compris que l'étude n'était pas seulement travail du cerveau; il avait compris que c'était une grande histoire d'amour entre l'homme et D ieu, que quelque chose de mystérieux lie l'étudiant de Thora avec la Thora qu'il étudie. Cette chose mystérieuse, c'est ce qu'explique justement l'impulsivité des juifs d'avoir dit oui à D ieu, ce oui qui était un coup de foudre.

Certes Rabbi A'ha fils de yaakov a bien diagnostiqué les dangers de cette démarche, mais lui répond Rava c'est cette démarche malgré le veau d'or qui eut lieu si rapidement qui est source d'éternité pour le judaisme. A l'époque d'Assuérus, il y eut deux périodes, celle des menaces de génocide et la période qui suivit le retournement de situation où les juifs avaient eu largement le temps de réfléchir avant de se réengager dans le judaisme. Le verset rapporté par Rava parle de l'année qui a suivi les miracles et ne parle pas du repentir des enfants d'Israel alors qu'ils étaient encore sous la menace. Mais dit Rava cette prise de conscience profonde n'a été possible que parce qu'il y avait vers où retourner: certes "ils accomplirent" après une longue période de réflexion, mais ils accomplirent ce qu'ils avaient fiévreusement accepté au Mont Sinaï.

Hier et aujourd'hui
De nos jours également, chacun se rappelle le choc spirituel qu'avait été la guerre des six jours. Chaque juif avait compris au fond de lui même que c'était l'histoire de D ieu qui se déroulait sous ses yeux. Et comme après l'évènement du Sinaï, l'effet s'était rapidement estompé.
Mais ceci n'est dans le fond qu'une apparence, car à partir de ce moment là, lentement mais sûrement et d'une manière très profonde, des individus reviennent à la Thora.