Conversation 41090 - Nu ou rusé?

philoux
Samedi 15 mars 2008 - 23:00

Bonjour M. le Rabbin,

Dans la Genèse, il y a une homonymie troublante entre "nu" et "rusé". Adam et Eve étaient "nus" ("aroumim") et le serpent est dit rusé "aroum". Y a-t-il eu des tentatives d'interprétation de cette homonymie, d'autant plus frappante que les mots sont très rapprochés dans le texte ? Chouraqui n'hésite pas à traduire "nu" dans les deux phrases : qu'en pensez-vous ?

Nathan Schwob
Lundi 30 juin 2008 - 08:42

Il y a effectivement des explications sur cette troublante ressemblance. Regardez la réponse No 19014 sur le site.
Rajoutons encore quelques explications dans le sens général du récit de la faute d'Adam.
Rachi (verset 3-7) explique que la découverte de la nudité doit être comprise au sens figuré, non pas nus physiquement mais nus moralement. Adam et Eve se sont retrouvés dénudés du seul commandement qu'ils pouvaient accomplir. En élargissant on peut expliquer que le serpent aussi était un être dénué de toute morale. Dans cette optique le texte de la Thora met en valeur le pouvoir destructif d'une intelligence fine mais sans morale qui devient ruse et méchanceté. (Voir "La voix de la Thora" du Rav Elie Munk).
Le texte précise encore qu'Adam et Eve, avant la faute, étaient nus mais n'en avaient pas honte. Les commentateurs expliquent que le sentiment de honte découle du sentiment de culpabilité qui n'existait pas encore puisque Adam et Eve vivaient dans l'harmonie originelle de l'esprit et du corps. Mais dans cette harmonie il n'y avait pas non plus de conscience du bien. Adam et Eve étaient donc "nus" de toute conscience morale dont ils n'avaient pas besoin.

De nombreux commentateurs ont repris l'explication talmudique qui identifie le serpent avec le mauvais penchant. Le serpent ressemble étrangement à l'homme lui-même: il parle, marche droit sur ses pieds, il est jugé donc possède une liberté d'action. Certain ont identifié la source du mal à l'imagination incontrôlée par la raison, imagination libre qui réveille les désirs. D'autres ont trouvé l'origine du mal dans l'intelligence sans conscience. Toutes ces explications ont comme point commun non seulement de trouver l'origine du mal dans l'homme lui-même, mais surtout de trouver le remède aussi dans l'homme lui-même: dans sa conscience, sa volonté et sa liberté, associées à la morale divine enseignée dans la Thora. (Voir Seforno, Abarbanel).

Quant à la traduction de Chouraqui, c'est un de ses points forts de mettre en valeur ce genre de particularités linguistiques, peut être aussi son inconvénient, "Traductor –Traditor".
Pour les détails grammaticaux qui font toute la différence entre les deux termes, voir aussi Radak (Rabbi David Kimh'i).
Si vous avez l'esprit plus poétique que philosophique, vous aimerez sûrement la remarque de Rabbi Avraham Iben Ezra: "ne t'étonnes pas de la proximité des deux mots, leur signification diffère, ce n'est là que la beauté du langage".