Conversation 58566 - Le « vengeur du sang »

fredz
Samedi 30 juillet 2011 - 23:00

Bonjour,

Nous sommes tous les ans à la lecture de la paracha massei un peu mal à l'aise face à l'existence d'un personnage anachronique et pourtant bien réel : le goel hadam.
Peu de commentateurs ( en français ) osent aborder le concept
Le rav Elie Khan (z"l)le décrit comme une sorte d'auxiliaire de justice Mais son rôle est plutôt clairement concurrent de la justice (comme on le déduit du passouk "veitsilou" Bemidmar 35,25).
Il semble d'ailleurs que le goel hadam a toute latitude pour agir avant le procés...et ce tant que le meurtrier n'a pas atteint l'une des villes de refuge...
Comment aborder le concept de goel hadam?
Est ce que la loi du goel hadam est une concession à la nature humaine que la thora encadre ?
Ou Bien la notion de goel hadam est une valeur positive en soi?
( Je n'oublie pas qu'il y a une makhloket tanaim sur le fait de savoir s'il s'agit d'une mitswa contraigante)
Enfin, de nos jours l'insitution du goel hadam a -elle-totalement disparu et est ce que le goel hadam serait considéré en tout point comme un assassin ?

Merci beaucoup pour vos réponses .

Jacques Kohn z''l
Dimanche 31 juillet 2011 - 08:25

L’institution du גואל הדם a été abondamment commentée par les interprètes, et je rapporterai ici la thèse qui a été développée par S.R. Hirsch, telle qu’elle est exposée par le rabbin Elie Munk (La voix de la Thora, vol. IV p. 360) :

« Apparemment, la Tora nous conduit par cette loi en droite ligne vers les moeurs obscures de la vendetta corse. Et il n’est pas douteux que l’interprétation de cette loi a provoqué des conceptions profondément erronées sur la valeur morale de la Tora. Et cependant, le sens véritable de cette institution devient évident si l’on prend la peine d’aller un peu plus loin que la première impression. Rien n’est plus facile pour un assassin que de se soustraire au bras de la justice, pour peu qu’il prenne un minimum de précautions. Le nombre des « poursuites contre X » de nos chroniques judiciaires actuelles en fait foi. Et c’est précisément ce danger que notre texte veut pallier. En donnant le droit aux proches parents de la victime d’abattre l’assassin, la Loi fera ce qu’aucune police du monde n’a jamais pu obtenir : obliger l’assassin, constamment hanté par le cauchemar d’une rencontre au coin d’une rue, qui le mettrait en face du père, du frère ou du fils de la victime, l’obliger donc à se réfugier auprès des autorités judiciaires de son pays. C’est que, s’il ne peut espérer, de la part de la famille, la clémence, il pourra peut-être la trouver auprès du tribunal qui jugera sans passion. Il est certain que, grâce à cette mesure apparemment sauvage, aucun meurtrier n’avait même l’envie de mener une existence “clandestine” et à la longue impossible. La Loi prévoit en conséquence que tout meurtrier, volontaire ou involontaire, aura, sous peine de se faire tuer, à se constituer prisonnier et à obtenir immédiatement la protection de la cité de refuge mais aussi à affronter les rigueurs de la justice. C’est donc en quelque sorte une police auxiliaire que nous pourrons voir en la personne du “vengeur du sang”, et, suivant les témoignages de nos traditions, cette institution a contribué puissamment à diminuer le nombre des assassinats anonymes et ainsi à améliorer progressivement la sécurité du pays. »

fredz
Mardi 2 août 2011 - 23:00

suite 58566
Kevod Harav,
Je vous remercie infiniment pour votre réponse et la citation de SR HIRSH sur le sujet.
Je dois avouer cependant que je n’ai pas eu le mérite de comprendre la réponse du Rav HIRSCH et que je ne peux qu'à ce jour formuler certaines critiques.
En effet, à la question de savoir pourquoi le Goel Hadam a le droit (ou l’obligation selon certains) de tuer l’assassin volontaire ou involontaire, le Rav SR HIRSH prétend que la hantise de la vengeance du goel hadam forcera l’assassin à s’en remettre à la justice.
Cet intérêt pratique constituerait une justification suffisante à l’institution du goel hadam.
Mis à part la surprise de constater que la fin justifierait les moyens - et que pour obtenir une diminution des meurtres, on autoriserait le meurtre- , je trouve que la réponse pose d'autres problèmes :
En effet,
1°) La réponse induit que le goel hadam aurait été autorisé à venger en l’absence de témoins et avant tout procès.
a) Or , ( sauf à ce que je me trompe et que vous me corrigiez) rien n’indique dans les sources de la halakha et la gmara ( makoth 10b) que le goel hadam serait autorisé à tuer avant le procès et donc sans témoins… Au mieux, selon une opinion, celle de rav houna, le Goel Hadam qui aurait tué sans attendre le prononcé de la culpabilité du rotse’ah serait patour de condamnation, mais son acte demeurerait clairement interdit.

b) D’ailleurs, « en donnant [ avant procès]le droit aux proches parents de la victime d’abattre l’assassin », la Thora n’ aurait elle pas consacré l’arbitraire, déshonoré l’ institution des Edim, et foulé les principes du procès équitable ? … Car, très simplement… qui nous dit que le goel hadam frappera la bonne personne? ...ou qu’il ne frappera pas un Karov beoness ? La réponse de SR HIRSCH part donc d’un postulat de base qui me semble faux ; le rotse’ah ne va pas se rendre aux autorités judiciaires de peur que le goel hadam ne le tue, puisque le goel hadam n’a clairement pas le droit de le tuer.
2°) Si par ailleurs, vous dites que le Rav SR HIRCH ne considère pas que la Thora autorise le goel hadam à tuer l’assassin volontaire ou involontaire avant son procès, l’argument du "nombre des poursuites contre X de nos chroniques judiciaires" et celui de l’effet comminatoire du goel hadam n’ont plus de sens…
3°) Enfin, on peut difficilement, comme le fait le Rav SR HIRSCH présenter le goel hadam comme une « sorte de policier auxiliaire ».
Alors que le passouk témoigne : « l’assemblée sauvera le meurtrier de l’action du vengeur du sang ». ( Bemidbar 35,25) ; c'est-à-dire contre le goel hadam ( Rachi).
En outre, en présence d’un rotse’ah bechogeg, le goel adam s’octroyait le droit de tuer là où le tribunal ne l’aurait condamné qu’à l’exil. (!)
Le goel hadam agissait donc bien en concurrent de la justice et non en « sorte de policier auxiliaire ».
C’est pourquoi je vous serais donc très reconnaissant de :
1) m’expliciter le sens de la réponse de Rav SR HIRSCH
2) de me faire part le cas échéant des avis des autres exégètes sur cette question.
3) Et m’aider à comprendre le sens de cette institution très surprenante.
Avec mes remerciements les plus sincères.

Jacques Kohn z''l
Jeudi 4 août 2011 - 02:09

Je vous remercie de vos remarques.

L’institution du « vengeur du sang » (גואל הדם), si elle répond à une nécessité dans la société régie par la Toran d’éviter les vengeances de type « vendetta », échappe dans ses règles d’application à toute rationalité.

Elle peut se comparer, à ce titre, à celle de la « belle captive » (אשת יפת תאר) et à celle du fils « indocile et rebelle » (בן סורר ומורה), stipulées dans Devarim 21, 11 et 18 : Comprises comme des limitations à l’influence du « penchant au mal » (יצר הרע), leurs détails d’application restent entourés d’une certaine obscurité.

Il faut se garder de vouloir à tout prix expliquer rationnellement tous les commandements de la Tora. Une grande partie échappe à notre entendement (גזרת הכתוב).