Conversation 69599 - Temps d'attente

FunkyJonat
Jeudi 6 juin 2013 - 23:00

Kvod haRabbanim

Quel temps d'attente entre la viande et le lait conseiller à qqn qui se met progressivement à respecter les mitsvot et n'avait pas de tradition familiale ?
L'idée populaire "Hollandais 1h, Ashkénazes 3h, Séfarades 6h" peut-elle être suivi aussi simplement ?
Y-a-t-il une uniformisation ou un consensus sur les 6 heures, même pour les ashkénazes, comme je l'entends parfois, ou est-ce une houmra mal placée ?

Merci d'avance pour vos éclairages !

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Rav Samuel Elikan
Dimanche 9 juin 2013 - 10:28

Shalom,

Vous m'excuserez, mais étant donné que c'est un sujet qui revient, je me suis dit qu'il serait bon d'approfondir un peu. Désolé de la longueur.

Selon la Torah il est interdit de manger de la viande cuisinée avec du lait, mais si ceux-ci se sont mélangée accidentellement - la Torah ne l'interdit pas... mais nos Sages, si. Ils ont interdit plusieurs choses dont le fait de manger conjointement du lait avec de la viande et ce par quel moyen que ce soit. Ils ont même voulu éviter le fait qu'on mange du lait ou lorsqu'on a encore un goût de viande dans la bouche et vice-versa, etc.
Il faut comprendre ces décrets rabbiniques comme éloignements afin d'éviter des "problèmes".

Dans le Talmud (TB H'oulin 105a-b) nous voyons clairement que quiconque mange de la viande doit attendre avant de manger du fromage. Par contre quiconque mange du fromage ne doit pas attendre du tout avant de manger de la viande.
Par la suite, Mar Oukva raconte que son père ne mangeait pas de fromage le jour où il avait mangé de la viande, mais lui, à sa différence, l'évite uniquement durant le même repas (c.à.d. qu'il ne mangeait pas dans le même repas de la viande puis du fromage), mais dans le repas qui suivait, le même jour – il en mangeait sans aucun problème.

Les Rishonim sont partagés quant à la compréhension de la raison de ce décret.

Rashi (105a s.v. assour le'eh'ol) note qu'après avoir mangé de la viande, celle-ci "sécrète de la graisse, qui se colle dans la bouche et allonge son goût". Les décisionnaires ont compris que le goût de la viande, durant la digestion, revient, remonte du foie et pas qu'il reste dans la bouche – parce que la fait de la rincer aurait suffit à éviter tout cela. De là on apprend également que le fromage ne "sécrète" aucune graisse qui se "collerait dans la bouche".

Hormis Rashi, le Rambam (Lois des nourritures interdites 9, 28) écrit que la raison de l'interdit est que "la viande réside entre les dents (même) après le rinçage de la bouche". Après un temps d'attente raisonnablement long (le Rambam le fixe à 6 heures approximativement), la viande coincée entre les dents n'est plus considérée comme "viande", ayant perdu son goût. On pourra donc consommer des mets lactés, bien qu'il reste encore des fils de viande entre les dents. Ou peut-être, faut-il comprendre dans ces propos, qu'après ce temps d'attente, on ne trouvera plus de tels fils, ceux-ci n'y seront simplement plus.

En outre, les Tossafot (ad loc., s.v. Lis'eoudata) ne sont pas de cet avis. Ils permettent de manger du lait tout de suite après que le repas viande se termine et que l'on ce soit lavé la bouche. Le rinçage et le lavage permettent d'éviter le problème des morceaux de viande ainsi que ceux du "goût" restant dans la bouche. Selon eux, il ne faut pas attendre du tout. Il n'y aurait pas de tel décret.

Rabbeinou Tam (Toss. sur H'oulin 104b s.v. O'f veGvina) suit l'avis du BaHaG qui, comme les Tossafot, permettent tout de suite de manger des mets lactés, mais il ne requiert même pas que cela soit un autre repas. Le fait de se rincer et nettoyer la bouche est suffisant à permettre la consommation de mets lactés après la viande. Il nous faut noter que dans la Psikta Rabbati (Piska 25, asser te'asser) qui est un très ancien midrash, il est clair que c'était l'usage, puisqu'il y est écrit qu'après s'être lavé les mains de la viande, on mangeait immédiatement des mets lactés.

(Je ne veux pas rentrer dans les retombées pratiques qu'il y a entre les différents avis et vous invite à voir le Tour, Beit Yossef, Sh. Ar et Rema sur Yoreh Deah, siman 89 et le Pri Megadim, Mishbetzot Zahav s.k. 1 ainsi que le Beit Yossef sur OH 143, à ce propos).

Le temps d'attente entre la viande et le lait
Comme dit, selon Rabbeinou Tam il n'y a pas besoin d'attendre du tout et il comprend l'action de Mar Oukva, tout comme celle de son père, comme un acte de piété.

Selon les Tossafot, Mar Oukva a agi selon la règle, selon la loi – il faut attendre le repas suivant. Cependant, étant donné que le temps d'un repas à l'autre varie – nos Sages n'ont pas indiqué de temps minimum requis. Et, par conséquent, selon cet avis, dès qu'on finit un repas viande, on peut commencer un repas lait.

Le Rif (H'oulin 37b – dans sa pagination) est en désaccord avec les Tossafot et selon lui, il faut attendre "le temps qu'il faut pour un autre repas". C'est-à-dire qu'il y a une certaine norme, on attend un certain temps entre chaque repas et on ne peut pas à l'issue d'un repas en commencer un autre ; il faut attendre.

Le Rambam (préc. cit.), comme dit, fixe ce temps à six heures. Le Leh'em Mishneh (ad loc.) explique que c'est la conclusion du Talmud – puisque les Sages ne mangeaient pas plus de trois repas par jour et ceux-ci à des heures précises – et étant donné que Mar Oukva était Sage, il suivait cette norme selon laquelle on mange un repas toutes les six heures.

Le Pri H'adash (ramené par le Mah'atzit HaShekel YD 89, s.k. 5) explique que ces six heures sont "zmaniot", c'est-à-dire des heures solaires dépendantes de la longueur du jour. Par conséquent, en hiver, durant les journées courtes, quatre heures (qui sont six heures "zmaniot") suffisent, dit-il. Selon lui, ce n'est pas lié à un temps de digestion, mais à un temps circonstanciel et plutôt aléatoire fixé ainsi par convention.

En outre, Rav Yonathan Eybeschütz (Pletei s.k. 3) pense qu'il n'y a pas de différenciation qui puisse être faite et il faut toujours, été ou hiver, attendre six heures de 60 minutes chacune. Il amène une preuve qui est, je pense, très forte, je vous laisse aller la voir dans le texte.

Dans le Darkei Teshouva (s.k. 6) sont rapportés les propos du Rav David Pardo, auteur du H'asdei David sur la Tossefta, dans son livre "Mizmor LeDavid" – que l'usage de certains endroits est d'attendre trois heures uniquement. Selon lui, c'est la conséquence du fait que les gens attendent, en moyenne trois heures entre chaque repas (p. ex. petit déjeuner à 7 h, un petit goûter à 10h, à 13h le déjeuner, à 16h le café, à 19h le repas du soir). Il s'avère que cette opinion est ancienne – elle est écrite, et cela suivrait l'avis de Rashi, dans le "Kountrass Issour veHeiter attribué à Rabbeinou Yerouh'am", imprimé à la fin de l'édition de Venise de Sefer Adam veH'ava, au siman 39. C'est donc une habitude très ancienne (cf. resp. Meloumadei Milh'ama p. 252).

Le Shoulh'an Arouh' tranche qu'il faut attendre six heures entre le lait et la viande.

Le Rema distingue trois catégories.
1- De manière fondamentale, l'avis des Tossafot est correct, dit-il. On peut donc manger un repas fait de lait, tout de suite après un autre fait de viande, si on se rince la bouche et se lave.
2- L'usage est d'attendre une heure après le repas viande. Il ajoute qu'il ne suffit pas d'attendre, il faut surtout réciter la bénédiction.
3- Ce qu'il faut faire a priori, c'est attendre six heures comme le Rambam et le Shoulh'an Arouh'.

Le TaZ (YD 89,3) rapporte les propos du RaShaL qu'il faut a priori attendre six heures, mais qu'on ne peut rien dire aux gens pas très pieux qui attendent mois. Toutefois, ajoute-t-il il ne faut pas laisser quelqu'un qui est pieux (ben-torah) attendre moins que six heures, et que, pour lui, cela doit être le minimum requis.

Le Darkei Teshouva (s.k. 20-21) écrit au nom du H'ayei Adam que pour quelqu'un un peu malade on peut attendre une heure et ce, même pour de la viande de bœuf.

Par conséquent, chacun doit suivre son habitude.
Peu importe si on attend une heure, trois heures, six heures "zmaniot" plus ou moins six heures ou six heures complètes (je ne l'ai pas noté, mais cette discussion provient du langage du Rambam qui dit que c'est approximatif – alors, en conséquence, certains décisionnaires permettent d'attendre jusqu'à la sixième heure et pas vraiment six heures).

Si, toutefois, on n'a pas d'habitude, a priori, il faudra attendre six heures.
(Si, comme dans vous semblez l'exprimer dans notre cas, la chose est vraiment trop dure, on pourra y aller progressivement).

Kol touv