Conversation 69994 - Pour l'amour du ciel...
Je voudrais des precisions sur l'accomplissement des mitzvot par Amour de D-ieu
J'arrive a concevoir le sens d'accomplir par crainte le fait de craindre la punition , le courroux ...
comment arrive t'on a accomplir par Amour de D-ieu ?
Est ce que cela necessite obligatoirement de commencer par craindre , s'agit t'il d'etapes ou de facons differentes de servir D
Je suppose qu'il faille evidemment par comprendre le sens de la mitzva d'aimer D
Je sais bien que vous ne pourrez pas repondre a ces question sur le sites mais je voudrais s'il vous plait un debut de reponse , des conseils ou une premiere definition afin d'appronfondir le sujet que je pense comme fondamental puisque nous le repetons dans le shema 3 fois par jour
Merci
Shalom,
Vous avez très certainement raison, ce sujet est fondamental. Il nous faut donc essayer de le comprendre. Il a déjà été traité sur le site, je vous invite donc à effectuer une petite recherche sur le moteur de recherche et à lire en particulier la très belle réponse 63005 du Dr. Michaël Ben-Admon. Je vous conseille également de voir encore sur ce lien:
http://www.aish.fr/sp/dp/6_Mitsvot__4_-_Aimer_Dieu.html
En outre, je vais périlleusement tenter, de manière plutôt succincte, une synthèse (qui ne pourra être exhaustive). Vous excuserez donc d'ores et déjà mes maladresses et la longueur du texte...
Introduction
La Torah, dans la péricope de Vaeth'anan (1), et c'est effectivement, comme vous le soulignez, une partie du Shéma que nous récitons deux voire trois fois par jour, nous dit: "Tu aimeras l'Eternel, ton D'ieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton pouvoir". De là, entre autres (2), nous apprenons le commandement d'aimer D'ieu (3). Celui-ci fait partie des six commandements perpétuels, qui ne cessent à aucun instant de la vie de l'homme (4), à chaque instant où l'on y pense, on accomplit un commandement positif (5)!
Le contrôle des sentiments ?!
Cependant, comme vous le soulignez, le concept d'amour fait appel à un sentiment, s'il ne s'agit pas d'une métaphore. Et la question qui se pose, bien évidemment, est la suivante: un sentiment peut-il être voulu, désiré, est-il soumis à la volonté ? Peut-on contrôler ses sentiments ? L'auteur de cette question, dans l'exégèse de la Torah, est Rabbi Avraham Ibn Ezra à propos de l'interdit, relaté dans les dix paroles – "lo tah'mod…", "tu n'envieras point…" (6).
L'amour h'assidique
Le Sfat Emet (7) répond à cette question de manière formidable : si la Torah nous donne un tel commandement, cela veut dire, dit-il, que la force de l'amour est encrée naturellement dans l'âme de l'homme. Il ne reste plus à celui-ci que de la faire sortir de son état de potentiel à un état concret, réel. Notre travail, en ce sens, est d'arriver à la source même de nous-mêmes, afin d'utiliser nos forces pour les raisons de leur création. Vous comprendrez bien sûr qu'une telle idée ne peut provenir que de la h'assidout préconisant, en effet, que tous nos désirs les plus sincères, nos visions du monde, etc. sont des parcelles de l'Infini, de la Divinité. Ces étincelles de Divinité brûlent en chaque homme, puisque celui-ci a été créé à l'image de D'ieu, c'est-à-dire qu'il est "partenaire" en quelque sorte de l'Infini, qu'il a une parcelle d'Infini en lui – l'âme. Il y a là une conception de la Divinité qui insiste plus sur son immanence. Il existe donc des forces Divines en l'homme, comme celle de l'amour, de la volonté intime de se lier à l'Infini, cette volonté ardente de transcendance qui brûle en nous (8), qu'il nous faut découvrir et lier à sa source.
Bien évidemment, pour cela, il faut nous préparer. Rien ne vient sans rien…
Le Rav H'ayim de Tschernovitch, dans son livre "Be'er Mayim H'ayim" relate à ce propos une très belle allusion : lorsqu'un homme veut boire dans sa maison, il poste un tuyau dans une source pure et le déroule jusqu'à chez lui. Cependant, pour que l'eau reste pure, il faut que le tuyau également soit propre ! Par conséquent, dit-il, l'homme pour pouvoir ressentir l'amour, cet aspect Divin, qui existe en lui et le "faire sortir" doit se purifier, doit être propre de toutes saletés, etc. Seulement alors, il pourra goûter la douceur incroyable de l'amour Divin.
Le Magid de Doubno, dans son livre "Ohel Ya'akov", donne une métaphore similaire.
Un paysan vint chez le couturier en lui criant dessus: "N'avez-vous pas honte?! Vous m'avez trompé! Le nouveau costume que vous m'avez vendu ne correspond pas du tout à ma taille!". Le couturier, restant calme, lui répondit: "montrez-moi monsieur". Il voit que celui-ci met le costume et effectivement cela ne lui allait pas. Il se mit alors à rire. "Vous vous moquez de moi, arrêtez, ça suffit", s'exclama le paysan. Le couturier lui dit alors, "je ne me moque pas de vous, je viens simplement de comprendre votre problème. Vous mettez votre nouveau costume sur votre ancien costume, alors effectivement, ça ne va pas. D'abord, enlevez l'ancien, puis revêtez le nouveau !". Ainsi en est-il pour le comportement, et les midot, les vertus. L'amour sincère ne peut qu'emplir un cœur pur. Si celui-ci est "sale", habillé d'un ancien costume, il ne saura rien sentir, et ça ne lui conviendra pas.
Nos Sages, dans le midrash (9) expriment une idée similaire:
"Et ces paroles que Je t'ordonne aujourd'hui seront sur ton cœur – Rebbi dit: pourquoi cela est-il énoncé ? Pour nous dire que si on ne sait pas comment aimer D'ieu, on nous enseigne qu'il faut mettre ces paroles sur son cœur, car ainsi tu connais le Créateur du Monde et suit Ses voies".
C'est-à-dire qu'il faut que ces propos soient sur notre cœur, vraiment, sans aucun élément perturbateur, gênant, entre les deux, sans impureté. C'est là la vision de la h'assidout: quiconque ne ressent pas l'amour de D'ieu éprouve, en fait, un manque chez lui-même, ce n'est pas tant l'amour qui lui manque, mais les moyens d'y arriver, de le découvrir. Ces moyens sont la Torah et la foi, la emouna. Sans eux, on ne peut guère atteindre l'amour de D'ieu. On nous enseigne au nom du Ba'al Shem Tov que pour atteindre l'amour de D'ieu, "il faut fixer sa pensée dans des éléments qui réveillent (en nous) l'amour".
En outre, le Rav Avraham Itzh'ak HaKohen Kook enseigne (10):
"Il est impossible de ne pas aimer D'ieu, et il est impossible que la force de l'amour, tendre et nécessaire ne fasse pas grandir une "plante" pratique… Il est impossible de ne pas aimer la Torah et ses commandements qui sont tant liés à D'ieu. Il est impossible de ne pas aimer la droiture et la justice… et il est impossible de ne pas s'emplir d'amour pour toute créature, car la Lumière Divine luit en tout…"
D'autres visions de l'amour: positif ou contemplatif ?
Le Rambam (11) écrit que l'amour que l'homme doit ressentir envers D'ieu est très fort, "jusqu'à ce que son âme soit liée à l'amour de D'ieu, comme s'il était malade d'amour, que son esprit ne sache point se libérer de celle-ci ; il y pensera (12) tout le temps, lorsqu'il s'assoit et se lève, lorsqu'il boit et mange, et plus encore, l'amour de D'ieu résidera dans le cœur de quiconque L'aime". Il écrit encore (13) qu'il faut "quitter tout ce qu'il y a dans le monde, hormis cet amour". De manière similaire, le Rav Eliahou Di Vidash écrit (14) que l'amour éprouvé pour D'ieu doit être tel que l'on se sent "liés à la Lumière Divine". Ce concept de "lien" à D'ieu est expliqué en long et en large par de nombreux rabbins (15).
Rabbeinou Bah'ya Ibn Pakouda ajoute encore à ce propos "que son cœur soit vide de l'amour du monde et défait de ses pulsions" (16). Il est intéressant de noter qu'il distingue, à la différence des autres rabbins, les concepts d'amour et de "liaison à D'ieu" ("dveikout"). Cette "liaison", selon lui, fait preuve d'un désir profond de transcendance dépassant le degré de l'amour, il correspondrait au degré de "mitat neshika" (mort subite, comme un baisé). Quiconque éprouve ce "désir" ne peut plus se séparer de la chose désirée (en l'occurrence D'ieu). L'amour de D'ieu, selon lui, doit donc dépasser tout autre amour existant qui est par ailleurs totalement légitime.
Les livres de loi juive donnent, comme l'a dit précédemment, par allusion, le Rav Kook, des réponses pratiques à "l'accomplissement" de l'amour de D'ieu. On peut décompter quatre types d'actions:
1. L'étude de la Torah pour elle-même et non pas pour en recevoir une quelconque récompense (17).
2. Bénir D'ieu pour le bien comme pour le mal qui nous advient, que nos Sages ont appris du verset "Tu aimeras l'Eternel ton D'ieu… de tout ton pouvoir (me'odeh'a)", c'est-à-dire selon chaque vertu (ou mesure - "mida") selon laquelle Il te mesure (18).
3. L'obligation de se vouer à D'ieu et de commettre le sacrifice de soi ("messirout nefesh") si l'on nous astreint à commettre de l'idolâtrie (19).
4. Faire aimer D'ieu aux autres, tout comme Avraham l'a fait (20): nos discussions, nos affaires, notre business, etc. doivent être faits avec foi, on doit parler tranquillement avec les hommes, afin que ceux-ci disent: heureux soit son père qui l'a bien éduqué, heureux soit son maître qui l'a bien éduqué (21).
Il est à noter que le Rema ajoute encore (22) qu'on n'a pas le droit d'embrasser ses enfants, lorsqu'ils sont petits, à la synagogue, afin de montrer qu'il n'y a d'amour qui dépasse l'amour Divin. Le Mishna Beroura ajoute encore (23) au nom du Sefer HaH'aredim que lorsque l'on dit "Et tu aimeras l'Eternel, etc." il faut penser à insérer l'amour Divin dans son cœur, afin de ne pas être tel un menteur qui dit des choses qu'il ne pense pas.
Toutes ces actions descendent directement du commandement d'aimer D'ieu, mais ne le définissent aucunement différemment. Il faut quand même aimer D'ieu, littéralement.
Je ne sais pas si ces actions suffisent à accomplir le commandement de l'amour de D'ieu. Sûrement que certains diront que cela est suffisant, dans quel cas, l'action, ou ce qu'on appelle l'aspect "positif" suffira.
Toutefois, et je pense que c'est l'avis de la grande majorité des rabbins, il ne semble pas que cela soit suffisant. Il nous faut donc définir comment aimer D'ieu, littéralement.
Le Rambam (24) parle plutôt de l'aspect contemplatif. Le fait de voir la main de D'ieu dans la nature et d'apercevoir Sa Sagesse voilée dans la Création est le moyen le plus utile d'arriver à l'amour de D'ieu. L'image d'étoiles dans le firmament par exemple peut nous amener plus facilement à une (re)connaissance et une admiration de l'Infini.
En outre, dans son Livre des Commandement (25) il écrit qu'on y arrive non pas en réfléchissant suite à une contemplation de la nature, du monde, du cosmos, mais plutôt en méditant "Ses propos, commandements et actions". Selon cela, ce serait l'étude et l'accomplissement des commandements qui mèneraient à l'amour de D'ieu.
Pour résoudre cette contradiction apparente, l'auteur du "Kinat Sofrim" (26) propose qu'il s'agit de deux éléments différents se complétant l'un l'autre. Dans son livre de Lois, et en particulier dans les lois des fondements de la Torah (Yessodei HaTorah), ainsi que dans les lois du repentir (Teshouva) ainsi que dans le Guide, il parle de la méditation due à la réalité nous entourant, puisque c'est de cela qu'il parle, alors que dans le Livre des Commandements, il nous enseigne, au-delà de cela, qu'il faut également méditer la Parole Divine, dans tous Ses dévoilements et pas seulement dans celui cosmologique, immanent peut-être. Je pense qu'on peut trouver une preuve à cela, dans son livre de Lois également (cf. Lois de la Mezouza 4,13).
Le Ralbag (dans son commentaire sur la Torah, Vaeth'anan) comprend la méditation de la Torah, du monde et des "choses intelligibles" comme moyens d'arriver à l'amour de D'ieu.
Rabbeinou Bah'ye (27) quant à lui omet, volontairement, la méditation dans les "actions" Divines, pour lui, on doit se concentrer uniquement sur la Torah et ses commandements.
Il est à noter que la limite entre le commandement de la foi et celui de l'amour est très faible, voire inexistante chez certains auteurs.
Vous verrez donc une corrélation entre la vision de la connaissance de D'ieu chez Maïmonide et sa vision de l'amour, ainsi qu'il le dit explicitement dans les lois de Teshouva (10,6): l'amour dépend de la connaissance, de la science de l'homme. Ce sont également les propos de Rabbi Avraham Ibn Daud, dans son Emouna Rama (28).
Il est intéressant de noter que la foi, dans la pensée juive au Moyen-âge surtout, ainsi qu'au début de l'époque moderne, traite d'au moins quatre aspects, qui se retrouvent, je pense, dans les approches relatives à l'amour de D'ieu:
1. L'aspect psychologique et anthropologique: la foi est vécue comme une expérience et un état d'âme, une attitude particulière, pourrait-on presque dire. Ainsi en est-il de l'amour de D'ieu.
2. L'aspect épistémologique: la foi, sous cet aspect, est considérée comme sorte de connaissance et prises de conscience positives ou négatives, c'est-à-dire que sont compris dans cette catégorie des domaines qui ne sont pas intelligibles, en soulignant leur lien à la foi, comme, par exemple, la négation des attributs Divins (29). Comme vu, cela peut être également le cas pour l'amour de D'ieu, ou alors encore cette "connaissance" peut nous mener vers quelque chose d'autre: l'amour.
3. L'aspect national: la foi comme facteur déterminant particulier du Peuple d'Israël.
4. L'aspect mystique: la foi comme reflétant une certaine dimension théosophique (30).
Cette catégorisation est loin d'être absolue ni exhaustive, mais nous permet de mieux prendre conscience de la place que la foi, et par conséquent de l'amour de D'ieu, prend ou peut prendre dans notre vision du monde.
Le Rav David Cohen (le Rav HaNazir), dans son commentaire sur le Kouzari (introduction à la quatrième partie - 31) explique que la différence entre les trois grands auteurs de la pensée juive (que le Rav Kook recommandait d'étudier - "ces livres que tout érudit doit connaître") – Rav Saadia Gaon, le Rambam et Rabbi Yéhouda Halévy – résidait justement, dans leur voie, dans leur manière d'aborder ce sujet.
Pour le Rambam, dans le Guide, la foi commence par la contemplation du monde, 'olam, de manière cosmologique. Celle-ci doit cependant amener à un questionnement philosophique. Mais l'approche première est contemplative (32). Comme nous l'avons vu précédemment à propos de l'amour de D'ieu !
Cette vision est plutôt semblable à celle de Rav Sa'adia Gaon qui commence son livre Emounot ve'Deot, après sa fascinante introduction, dans la première partie, par la prise de conscience que le monde et tout ce qu'il contient a été créé (33). Cette prise de conscience permet d'arriver à l'amour de D'ieu, finalement.
Rav Yéhouda HaLévy, quant à lui, ouvre son livre par la voie historico-nationale: "Je suis l'Eternel ton D'ieu qui t'a sorti d'Egypte". De là, il arrive à la Création, puis au Créateur ou Celui qui fait vivre (meh'ayeh) et exister (mekayem) celle-ci. Dans cette optique, Rabbi Yehouda Halévy trouve la solution à la problématique du yih'oud – c'est-à-dire au fait de voir D'ieu comme source de tout, Un et Unique – des attributs Divins, ainsi que celle des Noms Divins. Selon cela, on comprend mieux sa vision de l'amour de D'ieu –selon lui et il semblerait que cela soit également l'avis du Ran dans ses h'idoushim sur le traité d'Avoda Zara, elle ne touche que le Peuple d'Israël, dans le sens où il s'agirait d'un facteur identitaire notoire: on aime D'ieu, parce qu'Il nous a fait sortir d'Egypte, cet amour commence donc de D'ieu (34).
Le "Sefer HaBrit" (35) résume les choses ainsi. Il y a sept causes, selon lui, à notre amour pour D'ieu.
1. Le fait qu'on soit sauvé de mauvaises choses, tant consciemment qu'inconsciemment (selon Nidda 31a).
2. Le fait que D'ieu pourvoit, par Sa Bonté, à tous nos besoins.
3. Parce qu'Il voile nos fautes du monde.
4. Parce qu'Il nous pardonne sans limite (cf. H'ovat Halevavot, Ahavat H', chap. 2).
5. Parce qu'Il a donné de l'intelligence à l'homme.
6. Parce qu'Il nous aime, ainsi que nos ancêtres plus que toute chose (selon Devarim 7:7).
7. L'amour provenant de l'esprit – on dévoile par cet outil la Divinité et on ne peut que l'aimer.
Le Rav Eliezer Pappo, dans son "Pelé Yoetz" (36) en synthétisant les propos du "Sefer Habrit", distingue entre deux sortes d'amour: celui "naturel" (les six premières causes) constituant une sorte de remerciement (37) et celui plus "élevé", "philosophique" pourrait-on presque dire, qu'il appelle "ahavat haromemout".
Cependant, il est intéressant de noter qu'avec l'apparition de la psychologie en particulier, mais surtout avec l'avancée moderne en général, les rabbins ne pensent plus que la "connaissance" amène à l'amour. C'est l'avis des rabbins allemands au 18ème siècle et après, ainsi que l'écrit le Rav Yaakov Mecklenburg (38): "On aurait pu se tromper et croire que la connaissance et la recherche philosophique nous amènerait à l'amour de D'ieu, par conséquent la Torah nous explique que ce n'est pas le cas, car en vérité l'amour de D'ieu s'atteint par l'étude de la Torah et l'accomplissement des commandements uniquement, ainsi que l'ont déjà dit plusieurs des grands "chercheurs du cœur" (h'okrei lev) en quête de vérité et ils ont démontré cela avec des preuves claires… que l'amour de D'ieu ne peut pas être réellement liée à une quelconque recherche philosophique".
Entre crainte et amour…
Il y a une grande différence entre l'accomplissement des commandements par amour ou par crainte (39). En outre, il est vrai que le Reshit H'oh'ma (préc. cit.) dit qu'il est nécessaire de passer par la crainte pour arriver à l'amour, mais il s'agit de la crainte d'outrepasser la Volonté de D'ieu et non pas une crainte de la punition. Cette crainte serait plutôt, comme le dit le Malbim, un grand respect que l'on porte à D'ieu. Ce respect ne pouvant mener qu'à l'amour. En effet, ces deux vertus ne sont pas antithétiques, ainsi qu'on le voit chez Avraham qui est décrit à la fois comme un homme qui aime D'ieu (Yishayahou 41:8) et qui Le craint (Bereshit 22:12). "L'amoureux" est zélé dans les commandements positifs, sans intérêts aucuns, alors que "le craintif" est zélé dans les commandements non-positifs, afin de s'éloigner de la faute (40).
En guise de conclusion
Le Rav Kook écrit (41):
"La flamme du feu sacré de l'amour Divin brûle toujours dans notre âme, elle chauffe l'esprit, illumine la vie, et ses plaisirs sont infinis, aucune mesure ne saurait décrire leur bonté et douceur. Et combien cruel l'homme peut-il être qu'il se fond dans les noirceurs de la vie, s'occupe de nombreux comptes et la vie des vies, la beauté de la base de la vie, il oublie de son cœur, et pour cela, il n'y a pas part, et pourtant il marche dans l'obscurité à cause de la main matérielle éparse qui prend le dessus, sans lumière, sans resplendissement. Et pourtant, cela est contraire à la nature de l'âme et toute l'essence. La Bonté Supérieure doit nécessairement sortir de ses cadres, et la sainteté de la vie faire son chemin afin de permettre à la douceur d'apparaître dans toutes ses couleurs, et dans toutes ses forces. "Jamais œil humain n'avait vu un autre dieu que Toi agir de la sorte en faveur de ses fidèles"."
En espérant vous avoir donné quelques pistes de réflexion,
Kol touv
Notes:
(1) Devarim 6:5
(2) Devarim 10:12, 11:1,13 et 22, 19:9, 30:16 et 20; cf. aussi 13:4 et 30:6 ; Yehoushoua 22:5 et 23:11.
(3) Cf. TB Berah'ot 54a, Pessah'im 25a et Sotah 22b.
(4) Il s'agit de la foi en D'ieu, de ne pas croire en une autre divinité, de faire Son "yih'oud", de L'aimer, de Le craindre, et de ne pas suivre les mauvaises pensées du cœur et la mauvaise vision des yeux. Cf. Sefer HaH'inouh', introduction et cf. fin du comm. 25, ramené également par le Sefer H'aredim et dans le Leh'em Mishné sur hil. Tefila 1,1, ainsi que dans le Be'our Halah'a 1, s.v. hou kalal.
(5) Rambam, Livre des Commandements, comm. pos. 3; Sefer Hah'inouh' 418; SMa"G, comm. pos. 3; SMaK, 3; Azharot du Rav Shlomo Ibn Gabirol, Zohar HaRakyia, comm. pos. 13; She'iltot de Rav Ah'ai Gaon 101; Yire'im du Rav de Metz 404; Sefer H'aredim chap. 9, 3, 5-9.
Il est intéressant de noter ici que le Rav Sa'adia Gaon ne l'a pas décompté, hormis dans ses azharot sur les dix paroles. Le Rav Yerouh'am Fishel Perla (t. I, p. 32-33) explique cela ainsi: le Ran dans Avoda Zara 27b rapporte la discussion qu'il y a dans le traité de Sanhédrin (74a) entre Rabbi Yishmaël et Rabbi Eliezer. Rabbi Yishmaël pense qu'il y a un commandement d'aimer D'ieu, alors que Rabbi Eliezer, qui est d'accord avec Rabbi Yishmaël sur le fond, pense que le verset parle plutôt du fait qu'il faille tout sacrifier, y compris sa vie, pour ne pas qu'il y ait d'idolâtrie. Quelle plus grande preuve d'amour y a-t-il ? Il n'y aurait donc pas, selon lui, de commandement positif d'aimer D'ieu, seulement un commandement de tout faire pour qu'il n'y ait pas d'idolâtrie et qu'on ne s'y voue aucunement. Et il suivrait l'opinion de Rabbi Eliezer, et selon sa voie, s'il y a un commandement positif et un comm. négatif édictés sur le même sujet, il ne décompte que le plus englobant des deux, de facto, lorsqu'il décompte "lo teh'alelou ète shem kodshi", le fait de ne pas profaner le Nom Divin et ne pas se vouer à l'idolâtrie, même en cachette, alors il a déjà compté le commandement de l'Amour Divin… Cependant, les propos du Rambam semblent difficiles de compréhension, puisque dans les lois de Yessodei HaTorah 5,7 il tranche la halah'a comme Rabbi Eliezer, alors que là-bas même chap. 2, loi 2 et dans le Livre des Commandements, comm. pos. 3, il semble plutôt suivre Rabbi Yishmaël. Le Rav Y.F. Perla propose de répondre à cela qu'il y aurait là, selon le Rambam, dans le verset, deux commandements, dont l'ajout de "ouveh'ol me'odeh'a" – "de tout ton pouvoir", qui n'était pas nécessaire à la compréhension simple du verset, vient ajouter – l'amour de D'ieu et le fait de tout sacrifier afin d'éviter l'idolâtrie, comme le comprend Abayé dans TB Yuma 86a. Cf. encore Tashbetz I, 63 et les propos du Natziv de Volozhin dans Ha'Emek She'ala, Kedoshim 101,1 et resp. Meshiv Davar I, 44.
(6) Ibn Ezra, Aroh', sur Shemot 20:13. Cette question est également posée par le Rav Itzh'ak Areima, dans son Akeidat Itzh'ak, à propos de l'amour de D'ieu, mais il reste sans réponse.
(7) Sur Vaeth'anan, année 5634.
(8) Qui proviendrait de la mida du Yessod, cf. Toldot Yaakov Yossef sur Leh'-Leh'a.
Quoi qu'il en soit, cette même idée, du Divin existant en l'homme, qui le pousse, par la prise de conscience de son existence et son ressentiment, à l'amour de D'ieu, se retrouve largement dans la deuxième partie du Tanya. Une preuve à cela se trouve par ailleurs dans le midrash Shir HaShirim Rabba 5, 2 où D'ieu y est appelé "le cœur d'Israël". Cf. encore HaEmek Davar sur Devarim 7:8 et Ramban sur Bereshit 2:9; Nefesh HaH'ayim, Portique I, chap. 15, s.v. omnam.
(9) Sifrei Dvarim, Vaeth'anan, 33 (lettre 6).
(10) Midot HaReiah, Ahava, 3.
(11) Hil. Teshouva 10,3.
(12) J'ai traduit "yishgeh" littérairement par "penser", cependant le Ra'avad (10,6) écrit que cela veut dire "poème" ou le fait de ne pas porter attention consciemment, c'est-à-dire qu'on y pense sans efforts. Cf. encore dans le Kessef Mishné, ad loc. et dans le Sefer H'aredim 1,6 qui explique que par la force de l'amour il en vite à chanter, à réciter des poèmes, etc.
(13) Id., hal. 6.
(14) Reshit H'oh'ma, portique de l'Amour Divin, 1.
(15) Cf. encore Rambam, hil. Yessodei HaTorah, chap. 2; Sefer Ha'Ikkarim III, chap. 36-37; Sefer Hah'inouh', comm. 418 ; intro. au Sha'ar HaYih'oud veHa'Emouna du Admour HaZaken, etc.
(16) Torat H'ovat Halevavot, dans l'introduction au portique de l'Amour de D'ieu.
(17) Sifrei, Devarim 41 et 48 ; TB Nedarim 62a et Toss. H'adashim ; Avot I, 3 et Toss. Yom-Tov ; SMaG, comm. Pos. 3 ; Rambam hil. Teshouva 10,2 et 5 ; Abarbanel ramené par le Maharsha sur Avoda Zara 19a ; Shl"a, Assara Maamarot, fin du Maamar 3.
(18) Mishna Berah'ot 54a et Guemara, ad loc. 60b et Rashi ; Rambam, Hil. Berah'ot 10, 3. Le Rambam dans son comm. sur la mishna, ad loc., écrit que c'est parce qu'il est possible que ce "mal" se transforme en "bien", par la suite. Toutefois, l'Arouh' (s.v. Tav), ainsi que les disciples de Rabbeinou Yona dans leur commentaire sur Berah'ot, ad loc, écrivent que c'est pour "nous effacer nos fautes", c'est-à-dire que tout mal qui nous adviendrait constituerait un repentir, c'est donc une bonne chose sur laquelle nous récitons une bénédiction. Mais, comme dit, ce n'est pas l'avis du Rambam…
(19) Le cas type du sacrifice est celui de Hananiah, Mishaël et Azariah (Daniel, chap. 3). Refusant d'honorer une statue en or érigée par le roi Nabuchodonosor, ils sont ligotés et précipités dans une fournaise ardente, de laquelle ils ressortent miraculeusement indemnes: Hananiah, Mishaël et Azariah choisirent la mort plutôt que de pratiquer l'idolâtrie. Nos Sages apprennent cela du verset "Tu aimeras l'Eternel, ton D'ieu… de toute ton âme" – même s'Il devait prendre ton âme (TB Berah'ot 54), cf. encore Rashi sur Sanhédrin 74 qui explique que l'amour se dévoile par le fait qu'on ne choisisse pas l'idolâtrie.
(20) Cf. Bereshit 12:5 – selon le Sifrei Devarim 6,4-5
(21) Ce sont les propos d'Abaye dans TB Yuma 86a; cf. Rambam, Livre des Comm., comm. pos. 3 et hil. Yessodei HaTorah 1,2 avec Avodat HaMeleh', ad loc.; Sefer HaH'inouh', cit. préc.
(22) Rema OH 98,1 selon le Binyamin Zeev 163 et le Sefer HaAgouda, chap. Keitzad Mevarh'in.
(23) OH siman 25, s.k. 14.
(24) Hil. Yessodei HaTorah, chap. 2 et 4; Guide des Egarés III, 28, etc.
(25) Comm. pos. 3, préc. cit.
(26) Sur le livre des Commandements, ad loc.
(27) Cit. préc. ; Kad HaKemah', s.v. Ahava.
(28) III, s.v. bezeh haperek. Cette même idée se retrouve également dans les propos de Rabbi Avraham Ibn Ezra dans son commentaire sur Oshéa 4:15.
(29) Cf. Rambam, Guide des Egarés I 51-60; H.A. Wolfson, Studies in the History of Philosophy and Religion, Cambridge, Mass., 1977, t. II, p. 161-194 ; Alvin J. Reines, "Maimonides' True Belief Concerning God" dans Maimonides and Philosophy, sous la direction de S. Pines et Y. Yovel, Dordrecht, 1986 (Archives internationales d'histoire des idées, 114), p. 24-35. Cf. aussi Rav Moshé Kordovero, Pardes Rimonim, IV, chap. 4.
(30) Dans la littérature kabbalistique, généralement la foi reflète la sefira de malh'out – la Royauté. Pour une discussion sur la foi dans la kabbale et dans la h'assidout, cf. p. ex. Y. Yakobson, Foi et Vérité dans la H'asidout de Gour, dans Etudes de Kabbale, philosophie juive, et littérature éthique et philosophique, présentés à Y. Tishbi, sous la direction d'I. Dan et I. Haker, Jérusalem, 1986, p. 593-616; M. Pechter, La source de la foi est la source du renégat, dans l'approche de Rabbi Azriel, Kabala 5 (2000), p. 315-341 et Le problème de la foi et de la dénégation, selon l'approche de Rav Nah'man de Breslav, Daat 45 (2000), p. 105-134.
(31) HaKouzari HaMevoar, Jérusalem, 2002, t. II, p. 120.
(32) Il semblerait pourtant que le Rambam, dans le Guide I, 50 définit la foi de manière quelque peu différente, mais si l'on regarde plus attentivement, on verra qu'il n'y a aucune contradiction. En effet, dans le chap. 50 – il parle de comment la foi se dessine dans l'esprit: "Sache, toi qui approfondis mon livre, que la foi n'est pas quelque chose d'énoncé, mais se dessine dans l'âme, si on la maintient comme vérité, telle qu'elle se dessine". Puis, par la suite, il écrit (ibid.): "Mais si tu fais partie de ceux qui désirent s'élever à ce degré supérieur, le degré de l'approfondissement (yiun), et savoir avec certitude que D'ieu est Un, d'une Unité vraie, sans complexités ou possibilités de partage en aucune manière, alors sache que D'ieu n'a aucun attribut propre, etc." et il continue sur la voie philosophique: les attributs négatifs, etc. Et même si l'on veut comprendre différemment ce chapitre – comme définissant la foi – il n'empêche pas que l'ordre du livre nous dévoile comment arriver à la foi, quelle est l'approche première, sans pour autant la définir. Cf. à ce propos A. Nouriel, Le concept de foi chez le Rambam, dans Daat 2/3 (1978-1979), p. 46 et Remarks on Maimonides' Epistemology, dans Maimonides and Philosophy, cité précédemment, p. 40-50; comp. avec H.A. Wolfson, préc. cit.; S. Rosenberg, Le concept de foi chez le Rambam et ses "successeurs", Sefer Moshe Shwartz (Bar-Ilan, 22/23), 1988, p. 351-389; Ch. H. Manekin, Problems of 'Plenitude' in Maimonides and Gersonides, dans A Straight Path; Studies in Medieval Philosophy and Culture; Essays in Honor of Arthur Hyman, sous la direction de Ruth Link-Salinger, Washington D.C., 1988, p. 183-194, principalement p. 119-126. Cf. encore Alvin J. Reines, préc. cité, p. 33.
(33) Cf. à ce propos J. Guttman, Die Religionsphilosophie des Saadia, 1882, p.33-84; M. Ventura, La Philosophie de Saadia Gaon, Paris, 1934, p. 92-171.
(34) cf. Kouzari II, 50.
(35) IIème partie, Maamar 14 – L'amour et la joie, fin du chap. 7.
(36) Pelé Yoetz, I, Aleph, s.v. Ahava.
(37) Cf. encore Da'at Torah, Devarim I, p. 149 du Rav Yerouh'am de Mir qui parle de "se comparer à D'ieu" (midat haHishtavout) qui amènerait à l'amour de D'ieu.
(38) HaKetav veHaKabala, sur Devarim 6:6.
(39) Sifrei, ibid., 32 et TB Sota 31a.
(40) Cf. SMaK, 4.
(41) Midot HaReiah, Ahava, 4.