Conversation 12255 - Pourquoi?!Why?!Madoua?!Porque?Fawous?

C'est vrai que c'est une question difficile a repondre, ne serait-ce que parce que beaucoup de gens ne se la posent pas. J'espere avoir plus de chance que votre entourage dans ma reponse.

Avant tout posons une question supplementaire:

Existe-t-il une réponse?
La question est double: Existe-t-il une reponse dans les limites de la comprehension humaine?
Quelles sont les sources credibles qui sont aptes a donner cette reponse?

Nos sages nous enseignent dans la Michna (1) que certaines questions, meme si on peut les formuler, sont hors sujet ou par definition erronees:

"On n'enseigne pas le recit de la Creation a deux eleves a la fois, ni la vision du Char Divin (2) meme a un eleve sauf s'il est suffisament intelligent pour comprendre tout seul. Celui qui medite sur un des quatre sujets suivant, il aurait mieux valu qu'il ne soit pas venu au monde: qu'y a-t-il en haut, qu'y a-t-il en bas, qu'y a-t-il avant, qu'y a-t-il apres."

Qu'y a-t-il en haut, au dessus du monde materiel, au dela des limites de notre comprehension du spirituel, par exemple l'essence de D'. Qu'y a-t-il en bas, au fin fond du monde materiel. Qu'y a-t-il avant, que le monde ne soit cree, par exemple notre question: qu'est ce que "D' avait dans la tete" lorsqu'Il a decide de creer ce monde. Qu'elles etaient ses raisons, ses motivations ou ses besoins? Qu'y a-t-il apres, lorsque le monde n'existera plus.

La Guemara (3) justifie l'enseignement de la Michna par le verset suivant (4):
"Interroge donc les premiers ages, qui t'ont precedes, depuis le jour ou D' crea l'homme sur la terre et d'un bout du ciel jusqu'a l'autre, est-il arrive un evenement aussi grand ou bien a-t-on entendu chose pareille?"
De la nous apprenons qu'on ne questionne qu'a propos de ce qui s'est passe apres la Creation.

Il est clair que dans chacune de ces questions nous essayons de cerner quelque chose qui depasse le monde cree dans lequel nous evoluons. Or toute notre maniere de connaitre et de comprendre est basee sur des notions qui elles meme ne refletent que le monde qui nous entoure. Lorsque vous dites que D' est transcendant ou immanant ou immateriel ou eternel, vous avez utilise des mots fort savant dont la definition se refere toujours a quelque chose de materiel, et du coup vous attribuez a D' des notions humaines ou materielles qui ne sont qu'un pietre reflet de ce qu'est D' veritablement. Dans le fond il n'y a aucun moyen rationnel pour parler de D' sans Lui
manquer de respect et le mieux serait de se taire. C'est pourquoi la Michna ci-dessus conclue:
"Et tout celui qui n'a pas d'egard pour l'honneur de son Createur, il aurait mieux valu qu'il ne soit pas venu au monde". On ne peut donc parler de D' qu'en ayant a l'esprit nos limites conceptuelles qui amenent a la materialisation de D' ou a des anthropomorphisme. C'est pourquoi
nos sages disent souvent que: "La Thora a parle dans un language humain" (5), c'est a dire que lorsque la Thora parle de D', elle le fait par des termes comprehensibles a l'homme qui dans le fond, n'ont rien a voir avec D', mais beaucoup avec la maniere par laquelle les humains saisissent les interventions de D' dans le monde. Si vous dites que D' est bon, cela signifie que son action dans le monde est bonne pour vous ou pour les hommes. Si vous dites que D' est en colere, cela indique que son intervention dans le monde vis a vis de l'objet de sa colere, ressemble a celle de quelqu'un qui est fache, mais D' n'est ni bon ni en colere. D' est D' et encore sans avoir definir le mot D'.

Dans le meme ordre d'idee, si votre question est: "Qu'elles etaient les raisons, les motivations les buts ou les besoins de D', lorsqu'il a cree le monde", alors il n'y a pas de reponse car la question est posee sur D' avec des notions qui ne sont qu'humaines, et les reponses possibles ne parleront que de notions humaines et vous pourrez toujours refuter que D' dans son Absolu n'a que faire de toutes ces reponses. Par contre si votre questions est la suivante: "Quelles sont les buts que l'homme doit poursuivre, et qui lui ont ete assignes par D' lors de la creation du monde?" alors votre question un sens et a une reponse dans la Thora.

Il existe cependant une autre maniere de connaitre D', intuitive, basee sur l'imagination et sur l'experience. Pour ne pas etre pure fantaisie mais vraiment vraie, elle doit etre prophetie, c'est a dire revelation directe de D' Lui meme.

La, nous arrivons a la premiere partie de la Michna: le texte de la Creation et la vision du prophete Yeh'ezkel. Est ce que ces deux textes prophetiques devoilent quelque chose sur les motivations de D' lors de la creation? Pour le peu que j'y comprenne ces revelations ne parlent que des differents aspects des lois spirituelles qui regissent le monde, de la maniere qu'a D' d'intervenir ou de se devoiler ou de gerer Sa creation. Meme Moche, le plus grand des prophetes, n'a pu avoir de reponse a votre question. (6)

Quelles sont donc les buts que l'homme doit poursuivre, et qui lui ont ete assignes par D' lors de la creation du monde? Vous trouverez la reponse au fil du texte du Tanah' ainsi que dans les livres de pensee juive. Relevons quelques points centraux:

Berechit 1,26:"D' dit: faisons l'homme a Notre image, a Notre ressemblance et qu'il domine sur (...) toute la terre".
L'homme ressemble a D' dans sa liberte, dans sa creativite et dans sa recherche permanente du spirituel, grace au "souffle de vie", la Nechama, qu'il a recue et qui le distingue de l'animal. D' lui a confie toute la creation, pour la dominer avec ces qualites la, surement pas pour l'abimer.

Apres les echecs repetes de l'humanite, le peuple d'Israel a ete choisi pour garder, accomplir et transmettre ce que D' attend de l'homme.

Devarim 10-12:"Et maintenant Israel qu'est ce que D' te demande si ce n'est de craindre ton D', de suivre ses voies, de l'aimer et de servir ton D' de tout ton coeur et de toute ton ame".

Il y a la deux poles qui s'entremelent: celui de la relation de l'homme a D', et celui des actions a realiser dans le monde, un pole theologique et un pole social.
Quelles sont les voies de D'?

Berechit 18,19: "Si je l'ai choisi (Avraham) c'est pout qu'il ordonne a ses fils et a sa maison apres lui d'observer la voie de D' en pratiquant la Tzedaka (7) et la justice..."

Et encore, pour resumer ces deux poles:

Micha 6,8:"Homme! On t'a dit ce qui est bien et ce que D' demande de toi: rien que de pratiquer la justice, d'aimer la bonte et de marcher humblement avec ton D'".

Le roi Salomon, apres avoir disserte sur 12 chapitres de l'interet qu'il peut y avoir a ce monde, et apres avoir exprime toutes ses angoisses existentielles, conclut:

Kohelet 12,13:"La conclusion de tout le discours: crains D' et observe ses commandements, car c'est cela tout l'homme".

La aussi on retrouve les deux poles.

Vous citez dans votre question la reponse du Ramh'al (8) que D' a cree l'homme par pure bonte. Plus exactement:"L'intention de la Creation est d'accorder de Sa bonte a autrui", phrase qui doit etre comprise, comme dit plus haut, dans les limites de la comprehension humaine: D' accorde a l'homme et au monde beaucoup de bien. Rabbi Luzzato poursuit son explication: D' etant perfection absolue, le bien qu'Il accorde aussi doit etre absolu. Ce bien absolu ne peut etre que de cerner la Presence de D', de s'attacher a Lui, de gouter a Son essence, pour autant que l'homme en est capable. Comme rien ne peut connaitre D' si ce n'est D' lui meme, D' ne peut se reveler qu'en limitant l'eclat de Sa Presence. Paradoxalement, D' doit se cacher pour etre appercu. La bonte de D' s'exprime dans le monde tout d'abord par la place qu'Il laisse a autrui, a l'homme, en restant discret. D' nous donne par la une lecon exceptionnelle: la bonte envers les autres c'est tout d'abord de ne pas se prendre pour le centre de l'univers mais de laisser a autrui une place sous le soleil. La creation par D' d'un monde materiel et limite, elle meme, provient d'un mouvement de "retrait" par lequel D' laisse une place a autrui. Deux valeurs apparaissent donc liees: la rencontre entre l'homme et D' ainsi que la capacite de laisser une place a l'autre. D' demande a l'homme de l'imiter: en suivant avec bonte les voies sociales que D' nous trace d'un cote, on peut progresser dans la rencontre avec D', d'un autre cote. Les deux poles: le theologique et le social apparaissent de nouveau, comme dans les verset cites plus haut.

Il ressort de tout cela que "quantite" de Presence de D' que l'homme peut discerner depend de la place qu'il laisse a D' dans son existence. La liberte de l'homme lui permet de nier la Presence de D', d'accomplir les pires mefaits, de s'entretuer, de deprimer...mais aussi de se construire une vie dans laquelle D' est present, une vie humble mais idealement riche. Ce meme principe de donner a autrui un place a ses cote traduit, en langage humain, le phenomene de la Creation, la relation du Createur a ses creatures, la reation des creatures a leur Createur et la relation des creatures entre elles.
La question "quelle utilite a D' dans la creation" reste sans reponse. On aurait pu croire que sans cette reponse l'existence meme semble perdre son sens. Il n'en est rien. La raison est simple: il suffit de comprendre que les problemes existentiels que l'homme se pose proviennent tout simplement de la Nechama qui est en lui et qui le pousse sans cesse a rechercher son Createur, a definir sa vie non pas comme une auto suffisance egoiste et mediocre, mais comme une ouverture permanente vers l'autre D' ou homme. Pour cela, la comprehension rationnelle des motivations de D' est completement inutile, et bien pale a cote des retrouvailles avec la Presence de D'.

Dans ce cadre general, chacun doit connaitre ses qualites et ses defauts, ses traits de caractere et ses affinites afin de realiser au mieux son role, vis a vis d'Autrui: "N'abandonne ni ton ami ni l'Ami de ton pere".(9)

(1) Michna H'aguiga Ch.2 Mich.1.
(2) Par exemple Yeh'ezkel 1.
(3) H'aguiga 11b. Voir aussi Midrach Rabba Berechit 1,10.
(4) Devarim 4,32.
(5) Maimonides: "Lois concernants les fondements de la Thora", Chap.1,Parag.8-9,11-12. Rabbi Moche H'ayim Louzzato (Ramh'al): "Derech Hachem" (la voie de D') 1ere Partie, Chap.1, Paragr.2&5.
(6) Chemot 33,12-23. Maimonides: ibid. Parag.10.
(7) Dans le sens large de bonte et de droiture.
(8) "Derech Hachem" 1ere Partie, Chap.2 et "Messilat Yecharim" (Les sentiers de la rectitude), chap.1.
(9) Proverbes 27,10.