Conversation 58263 - Applications de sang et anneaux d'ors

eyrol
Samedi 16 juillet 2011 - 23:00

Chalom, et merci pour la qualité de vos réponses:

1. Le sang des sacrifices appliqué sur les cornes de l'autel: faut-il le mettre sur deux angles diagonalement opposés ou sur les quatre angles?

2. Sur Chemot (37,27): il est écrit, au sujet de l'autel pour la combustion de parfum, que Betsalel a adapté "deux anneaux d'or au dessous de la bordure, a ses deux parois, de part et d'autre, pour recevoir les barres destinées à le porter"
Y a-t-il un anneau ou deux anneaux par coté pour porter l'autel de parfum?

Merci.

Nathan Schwob
Mardi 2 août 2011 - 13:22

1) Cela dépend du genre de sacrifice apporté. Si le sacrifice était un H'atat (1), alors le cohen déposait avec son doigt du sang du sacrifice sur chacune des quatre cornes de l'autel (2).
Par contre, pour les sacrifices du genre Ola (Holocauste), Acham, Toda, Chelamim, le sang était aspergé à deux angles de l'autel, en diagonale, au coin Nord-est et au coin Sud-ouest (3). Il y a donc deux différences entre les deux façons d'apporter le sang sur l'autel.

Le Rav Chimchon Raphaël Hirsch (4) nous donne une tentative d'explication de la différence entre le H'atat et les autres sacrifices. Tentative, car il faut bien comprendre que les commandements concernant les sacrifices font parties des H'oukim – des décrets – incompréhensibles, ou peu compréhensibles, mais par lesquels nous exprimons notre soumission inconditionnelle au Créateur et à ses ordre. C'est ce qu'expriment les mots "ריח ניחוח" (sacrifice de bonne odeur) (5), qualificatif étonnant pour l'odeur de chair brûlée, si ce n'est que la bonne odeur ici signifie la "satisfaction" de D-ieu dont la volonté a été accomplie. Malgré tout, comme beaucoup d'autres commandements nous pouvons en tirer des enseignements.

Les quatre cornes de l'autel doivent être reliées aux quatre points cardinaux qui représentent chacun, dans le Tabernacle (et le Temple) les forces en jeux dans le monde. À l'Ouest: le Saint des saints, l'arche de l'alliance, symbolisant la présence de D-ieu dans le monde et Sa révélation par la Thora. À l'opposé, à l'Est, toutes les entrées: elles représentent l'ouverture du divin à l'Homme, l'entrée et l'évolution de l'homme en général, et du peuple juif en particulier, dans l'univers de D-ieu. Au Nord, la table qui symbolise la matérialité du monde, ses richesses et ses plaisirs. Au Sud, la Menora qui exprime la lumière, la sagesse, le spirituel.
Chacun des coins de l'autel se trouvait à la jointure de deux points cardinaux, et représentait ainsi l'interaction entre deux valeurs.
Quand on entrait dans le Temple, on découvrait en face de soi l'autel, avec son pan incliné, orienté du sud vers le nord, comme pour dire: voici le sentier à suivre pour s'élever de la terre vers les cieux. En haut, on apercevait la plate forme des sacrifices et les quatre cornes de l'autel, pointant vers le ciel pour indiquer que le chemin ne s'arrête pas là.
Les sacrifices (comme la Ola, le Acham, le Toda, ou le Chelamim) dont le sang était aspergé en bas de l'autel appellent l'homme à s'élever vers D-ieu en prenant avec lui toute sa vie terrestre pour la sanctifier. La première aspersion de sang au coin Nord-est, associe l'entrée dans le sanctuaire (L'Est), l'ouverture de la conscience vers l'autrui (D-ieu), avec le Nord, les biens matériels, pour inviter l'homme à sortir de son égoïsme, à partager avec autrui (les hommes) toutes les bonnes choses de ce monde qu'il n'a finalement reçu que de D-ieu, et à se repositionner positivement au sein du peuple juif. La seconde aspersion au coin Ouest-sud, associe la présence de D-ieu et sa révélation (Ouest) avec l'esprit, la sagesse et la pensée de l'homme (Sud), qui ne peuvent s'épanouir pleinement que sous l'éclairage spirituel de la Thora.
Par contre, le sang du sacrifice expiatoire (H'atat) était aspergé en haut de l'autel, la faute réveille un sentiment de régression, de chute. Elle provient d'un arrêt dans la progression, lorsqu'on s'imagine être déjà arrivé en haut de l'autel, au summum de ce qu'on peut atteindre. En aspergeant le sang sur chacune des cornes de l'autel, le cohen appelle le fauteur à passer en revue chacune des quatre interactions entre les quatre valeurs cardinales précitées, afin de vérifier laquelle aurait dû servir de moteur à une élévation spirituelle supplémentaire, comme l'indique la corne qui pointe vers le ciel, au lieu d'être la source de l'erreur à se faire pardonner.

2) C'est une bonne question que se sont posés bien des commentateurs. Il y a trois avis possibles:
Il y avait deux anneaux en tout, posés en diagonale.
Il y avait deux anneaux en tout, posés au milieu de l'arrête supérieure de deux faces opposées.
Il y avait quatre anneaux en tout, posés aux quatre coins de l'autel.

Le problème commence par l'ambiguïté du texte de Chemot (30,4):
Et tu lui poseras deux anneaux d'or en dessous de sa bordure, sur ses deux parois, tu les placeras de part et d'autre, ils serviront de passants pour les barres...
Au mot à mot cela donne:
Et deux anneaux d'or tu lui feras en dessous de sa couronne, sur ses deux côtés (צלע), tu feras sur ses deux cotés (צד), il sera (singulier) un passant pour les barres...

La répétition "sur les deux côtés" peut laisser entendre qu'ils fallait placer deux anneaux sur chacun des deux côtés, de part et d'autre, deux anneaux.... et en tout, quatre. C'est de cette manière que Don Yitsh'ak Aberabanel (6), le Malbim (7), et les Tossafot comprennent le verset. Ces derniers pensent que c'est aussi l'avis de Rachi.

On peut objecter que pour chacun des ustensiles du Tabernacle qui se portait par des barres, la Thora indique le chiffre précis des anneaux: 4 pour l'arche, 4 pour la table, 4 pour l'autel extérieur. Donc pour l'autel de l'encens, si le texte dit 2, c'est 2. On peut aussi objecter que le singulier utilisé pour dire " il (l'anneau) servira de passant pour les barres", indique bien qu'il n'y en avait que un par barre.
Il faudra donc comprendre que la répétition dans le verset vient préciser que les anneaux ne seront pas sur deux faces contigües, mais deux faces opposées. (Une évidence inutile à préciser, si on veut pouvoir le porter, objecteront les partisans des 4 anneaux).
Deux anneaux en tout, posés sur deux faces opposées au milieu de l'arrête supérieure, c'est l'avis du Rav Chimchon Raphaël Hirsch et de Avraham Iben Ezra (8).
Par contre vous remarquerez une singularité dans le commentaire de Rachi (suivant la traduction d'Onquelus) qui explique "צלע" par "coin" alors que d'habitude il le traduit par côté (9). Cela donne à penser que Rachi à compris que les anneaux étaient en diagonale. C'est aussi l'avis du Rav Imanouel H'ay Rikki (10) dans son livre "Maasé H'ochèv".

Les commentateurs ont essayé de trancher entre les différentes possibilités en analysant la manière de porter l'autel à l'aide des barres. Fallait-il deux porteurs ou bien quatre? Se tenaient-ils entre les deux barres ou non? Toutes les options restent ouvertes, car semble-t-il, les anneaux et les barres n'avaient pas d'autre sens que de porter l'autel.

(1) Sacrifice expiatoire pour une faute commise par ignorance et pour les fautes pour lesquelles on est passible de Karèt si on les transgresse volontairement.
(2) Voir Vayikra 4,25 et le chapitre 5 Michna 3 du Traité Zevah'im , Èzéhou Mekoman, bien connu puisqu'on le dit tous les matins avant la prière, pour servir d'étude journalière après la bénédiction pour la Thora.
(3) Voir Vayikra 1,5 avec Rachi, et Èzéhou Mekoman, Michna 4-7.
(4) Sur Vayikra 1,5 et 4,24-25.
(5) Par exemple Vayikra 1,9 et Rachi.
(6) Espagne Italie 1437-1508.
(7) Malbim: Abréviation de Rabbi Meïr Leïbouch Ben Yeh'iël Mikhal. 1809-1879 Europe de l'est, Volhynie- Ukraine, Roumanie.
(8) Dans son commentaire succinct Terouma 25,7.
(9) Voir Rachi sur Beréchit 2, 21.
(10) Kabbaliste Italien, fin du 18ème siècle.