Conversation 68143 - Jusqu'a ce jour!

joel
Mercredi 13 mars 2013 - 23:00

Shalom,
Quel sens doit on donner à l'expression ad hayom hazé que l'on trouve souvent dans la Torah?
On pourrait comprendre que le texte n'a pas été écrit à l'époque où se déroulent les faits.

Merci pour le temps que vous nous consacrez.

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Emmanuel Bloch
Vendredi 15 mars 2013 - 13:53

Chalom,

Le sens de l'expression עד היום הזה est deja discute dans la Guemara (voyez Yoma 53b - 54a), et la discussion se poursuit dans les ecrits des commentateurs ulterieurs. Voici les 3 opinions qui me paraissent etre les principales :

1. Ce que la Torah decrit comme existant "jusqu'a ce jour" vaut pour toutes les generations, c'est-a-dire pour toute l'eternite.

Voyez par exemple Rachi sur Bereichit 22:14 (כמו `עד היום הזה` שבכל המקרא, שכל הדורות הבאים הקוראים את המקרא הזה אומרים עד היום הזה על היום שעומדים בו), ou encore le Metsoudot sur Josue 4:9 (עד היום הזה - ר``ל עד עולם, כי כל קורא הפסוק הזה בזמנו אומר עד היום הזה והוא כלל גדול בדברי הנביאים).

Il y a des versets qui se lisent facilement selon cette optique, lorsque la situation decrite par le verset existe encore de nos jours. Pour d'autres, lorsqu'il semble clair que le phenomene decrit a cesse d'exister a un moment dans le passe, c'est plus difficile. Ces commentaires expliquent d'ailleurs "ad hayom hazeh" differemment a certains endroits difficiles.

2. Le rav Shimshon Raphael Hirsch explique (sur Devarim 3:14) que l'expression ne designe pas une realite eternelle, mais une realite qui a ete etablie pour durer un temps indefini. En d'autres termes, si je comprends bien, le rav Hirsch veut dire qu'au moment ou cela s'est passe (en l'espece, l'adoption de noms de villes), il s'agissait de quelque chose qui ne devait plus etre change a l'avenir - mais rien n'empeche que l'avenir prouve le contraire et que ces noms tombent en desuetude.

Voyez egalement l'explication du Daat Mikra sur le meme verset, qui est tres legerement differente - il s'agit de l'intention de celui qui agit, qui veut faire quelque chose d'eternel. Dans les faits, il est fort possible que la situation change au bout d'un certain temps. Autrement dit, il faudrait traduite "ad hayom hazeh" par "qui etait prevu pour toujours".

3. Finalement, il y a l'approche que vous suggerez (avec les precautions necessaires, usage du subjonctif, etc) - le texte aurait ete ecrit plus tard que les evenements qu'il decrit.

Cette approche a deux variantes. Variante "soft", celle d'Abrabanel (cf. son introduction au livre de Josue), qui contredit la sougya talmudique indiquant les noms des auteurs des livres du Nakh (Baba Bathra 14b) et indique des dates de redaction largement posterieures. Cette position du Abrabanel a ete fortement critiquee par r. Tsadok HaCohen de Lublin notamment, mais elle existe, et elle resout le probleme pour toutes les fois ou "ad hayom hazeh" est employe dans le Nakh - il faut alors comprendre l'expression comme une observation posterieure de l'auteur du livre en question.

Et pour le Pentateuque ? Il faut passer a la variante "hard", celle d'Ibn Ezra. Ce dernier indique que l'expression "Ad Hayom Hazeh" peut referer au moment de l'ecriture du verset, meme lorsqu'il s'agit de versets de la Torah - cf. son commentaire sur Devarim 34,6, dont la redaction est attribuee par Ibn Ezra a Josue.

Ibn Ezra indique par ailleurs, a differents endroits de son commentaire, qu'un certain nombre de versets de la Torah n'ont pas ete rediges par Moise (il le fait de maniere cryptique, mais les commentateurs ulterieurs l'ont largement interprete dans le sens indique ici). Il n'est past le seul dans cette optique d'ailleurs, et on trouve cette idee par exemple chez r. Yehouda he-Hassid, et d'autres.

A cote de ces 3 explications generales, vous trouverez dans les mefarchim des explications plus ponctuelles, dans le contexte d'un verset donne.